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« Votre grandeur n’ignore pas, disait-il, qu’il existe une correspondance particulière et suivie entre la reine de Suède et le roi de Prusse son frère. J’en ai reçu des notions que je puis donner comme très certaines. La reine, dans une lettre écrite il y a quelques mois au roi son frère sur la situation générale des affaires politiques, s’est expliquée avec franchise et grandeur d’âme relativement à sa satisfaction d’être d’accord avec les patriotes et de faire enfin cause commune avec la France contre la Russie. La fin de cette lettre disait : « Vous me trouverez peut-être trop fière dans mes sentimens et dans leur expression, mais songez que c’est votre sœur qui pense et qui parle de la sorte. » Le roi de Prusse a répondu très longuement et depuis peu de jours à cette lettre. Il commence par établir que « la fierté, qui est une vertu à la guerre, devient un vice capital en politique, » que « leurs majestés suédoises, n’étant pas à la tête d’une armée à conduire au feu, » doivent se plier aux circonstances de leur position actuelle, et ne pas braver, par un excès d’imprudence, des périls presque certains. La reine sera menacée même dans son intérieur, si elle continue de s’opposer, comme elle a fait depuis deux ans, à la Russie. » Le roi de Prusse s’efforce de prouver ensuite combien cette puissance doit être ménagée et recherchée par sa sœur, et il donne ici beaucoup de détails. Il continue ensuite en ces termes : « Vous concevez, ma chère sœur, combien il serait sensible à mon cœur et dur au vôtre de vous voir un jour réduite à venir à Berlin avec toute votre famille demander un asile, pour n’avoir pas voulu suivre des conseils que ma tendre amitié et l’intérêt le plus pur pour votre repos et pour votre gloire m’ont seuls dictés dans cette réponse[1]. »


Telle était l’inflexible politique de Frédéric II. Dans le temps même où il contractait avec la Russie des engagemens qui tendaient à le mettre en possession d’une province suédoise, il pressait instamment la reine sa sœur, sous le faux prétexte d’une sollicitude affectueuse et dévouée, de précipiter par ses conseils et son influence le gouvernement de la Suède dans les pièges qui lui étaient tendus ; mais les informations envoyées de Stockholm devaient suffire à éclairer le cabinet de Versailles, qui sut déjouer ces redoutables intrigues. Le duc de Choiseul, placé à la tête des affaires de 1758 à 1770, surveillait avec une vigilance et une perspicacité patriotiques

  1. L’édition officielle des œuvres de Frédéric II, publiée pendant ces dernières années à Berlin, ne sait rien de plus concernant cette curieuse lettre de Frédéric II. Elle donne seulement les cinq lignes que nous venons de citer ; elle les emprunte (t. XXVII, page 379 de la 1re partie) à un volume de M. Raumer, Beiträge sur neueren Geschichte, Leipzig, 1830, tome III, pages 224-5. — Il y a aux archives de la maison royale de Prusse un volume comprenant une série considérable de lettres de Louise-Ulrique, toutes autographes ; cette série comprend environ dix années, jusqu’à la fin de 1747. La reine de Suède, encouragée par son frère, lui écrivait par tous les courriers, sur les affaires de sa maison et sur celles de sa nouvelle patrie. Plusieurs de ses lettres sont chiffrées. C’est par le Suisse Beylon, lecteur de la reine, et avec lequel nous ferons connaissance plus tard, que les agens français avaient communication de quelques parties de cette correspondance.