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à 1,700 kilomètres de toute terre, à 1,900 de toute île occupée par la race qui l’habite ; le groupe le plus voisin des îles Sandwich en est éloigné de 3,000 kilomètres, et l’île de Pâques est à 1,300 kilomètres de ses sœurs, à 3,600 de la côte d’Amérique.

Au premier abord, il semble impossible que des hommes à peine sortis de l’état sauvage, dépourvus de nos moyens perfectionnés de navigation, étrangers à nos hautes connaissances astronomiques, ne connaissant ni la boussole, ni aucun des instrumens qui guident la marche de nos navires, aient franchi de pareils espaces. Il est bien difficile de s’expliquer comment, quel que soit le lieu de départ de la race, elle a pu atteindre successivement tous ces points où l’ont trouvée les grands navigateurs du XVIIIe siècle. On n’a pas manqué de représenter ces difficultés comme insurmontables. On a surtout insisté sur la direction des vents et des courans qui opposent, disait-on, un obstacle infranchissable à toute émigration venant de l’Asie. Ces objections, nous le montrerons sans peine, tenaient à une connaissance incomplète des faits aussi bien qu’à une appréciation très inexacte des connaissances et des ressources des populations dont il s’agit. Toutefois l’argument tiré de la direction des grands courans de la mer et de l’atmosphère devait paraître très sérieux avant les progrès récemment accomplis dans cette branche des connaissances humaines. En effet, les vents alizés, le grand courant équatorial, parcourent la plus grande partie de l’aire polynésienne ; les uns et les autres portent également de l’est à l’ouest, et peuvent au premier abord paraître demander aux navigateurs se dirigeant en sens contraire des moyens d’action plus puissans que ceux qu’on attribue généralement aux peuples sauvages. Aussi, même parmi les monogénistes, quelques auteurs, arrêtés par cette difficulté, ont-ils essayé de la tourner, et proposé diverses hypothèses ; mais ces systèmes, trop peu d’accord avec les faits, ont dû être rejetés malgré les noms recommandables dont ils s’appuyaient.

Ainsi William Ellis, auteur d’un ouvrage spécial et des plus importans sur tout ce qui se rattache à la Polynésie[1], a regardé les insulaires du Pacifique comme venus d’Amérique précisément à l’aide des vents et du courant dont nous parlons ; mais la première partie de cette étude a montré combien étaient intimes les rapports qui unissent les Polynésiens aux habitans de la Malaisie. Les caractères physiques et linguistiques relient évidemment ces deux races. C’est là un fait sur lequel Hale a insisté avec toute l’autorité que donnent à sa parole les travaux dont nous allons avoir à parler longuement. Envisageant la question surtout au point de vue philolo-

  1. Polynesian Researches during a residence of nearly six years in the South-Sea Islands.