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comme pour le recevoir, il saura bien se rappeler la route qu’il a suivie, regagner au besoin son point de départ et souvent léguer à ses fils les moyens de refaire à leur tour et tout à fait volontairement le voyage qu’il a le premier accompli. — Voilà en réalité ce qu’indique la théorie. Il reste à rechercher jusqu’à quel point elle s’accorde avec les faits.

Au point de vue général où nous sommes placé, au point de vue des migrations, la Polynésie et la Micronésie se confondent pour ainsi dire, et l’on a tout avantage à éclairer l’histoire de l’une par celle de l’autre. J’emprunterai donc au capitaine Kotzebue quelques détails d’une haute importance qui lui furent donnés par don Luis de Tort, sous-gouverneur de Guaham[1], sur les Carolins. — Les îles Carolines sont un point très intéressant pour l’anthropologiste. Elles réunissent des élémens ethniques très divers. Lesson a vu à Ualan une population mongole ; sur d’autres points, Morrel a trouvé des hommes noirs et à cheveux très frisés, sinon complètement laineux ; enfin Chamisso et Lütke n’ont pas hésité à regarder la population de certaines îles comme étant essentiellement polynésienne, et nous verrons des faits qui viennent à l’appui de cette appréciation. À ce titre même, les Carolins rentrent rigoureusement dans notre sujet. Or, sans être plus avancés d’une manière générale que les Polynésiens, les Carolins sont tous des navigateurs habiles et hardis. Leurs pirogues, fort bien construites, vont à la voile, manœuvrent très bien et louvoient très rapidement au plus près. Toutefois elles n’atteignent pas les dimensions des grands canots polynésiens, puisqu’elles ont au plus 14-16 mètres de long, et on ne rencontre rien aux Carolines qui rappelle les pirogues doubles de Tahiti. Les connaissances astronomiques des Carolins se bornent à distinguer les constellations et à partager l’horizon en vingt-huit points ou directions, comme les anciens Grecs. Avec ces seules ressources, ces peuples se livrent à des voyages en mer presque incessans. Sous le moindre prétexte, ils montent en canot, hommes, femmes et enfans, et parcourent leur archipel, qu’ils connaissent assez bien pour pouvoir en dresser des espèces de cartes. Ils font en outre de véritables voyages de long cours dans un intérêt purement commercial, et c’est à ces voyages que se rapportent les détails recueillis par Kotzebue.

En 1788, les habitans de Guaham furent très surpris de voir arriver chez eux une flottille de Carolins qui pour toucher à ce rivage avaient dû faire un trajet de cinq à six cents kilomètres au moins. Ces voyageurs inattendus n’en furent pas moins bien reçus et racontèrent

  1. Guaham est la capitale des îles Mariannes.