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Tout ce que l’on sait avec plus ou moins de certitude touchant les époques des diverses migrations polynésiennes conduit aux mêmes conséquences. Remarquons d’abord qu’il en est d’absolument récentes : l’île Crescent par exemple, située au sud de Mangarewa, fut peuplée il n’y a guère que quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans par un parti de fugitifs chassés de cette dernière, et qui durent faire le trajet exactement en sens inverse des vents alizés et sur de simples radeaux[1]. — Les îles Chatam, à 700 kilomètres à l’est de la Nouvelle-Zélande, ont été colonisées il n’y a guère plus d’un siècle par des Maoris qu’un orage du nord-ouest emporta jusque-là[2]. Sans pouvoir préciser de même à quelle époque arrivèrent dans les archipels Dangereux et des Iles-Basses les colons qui, mêlés aux Polynésiens de Tahiti, les habitent aujourd’hui, tout porte à croire qu’ils y sont parvenus à une époque peu éloignée, car ils n’ont pas encore atteint l’extrémité de cet ensemble d’îles très rapprochées les unes des autres, et ne se montrent en populations quelque peu condensées que dans les groupes du nord et de l’ouest.

Il est possible de remonter bien plus haut dans l’histoire des Polynésiens et de fixer le plus souvent, il est vrai d’une manière parfois conjecturale, mais parfois aussi avec une véritable précision, la date de quelques-uns de leurs principaux établissemens. En effet, dans certaines îles, les familles princières conservent avec soin leur généalogie, qu’il n’est pas bien difficile de réciter exactement. Elle forme une sorte de poème dont chaque vers comprend le nom d’un chef, celui de sa femme et celui de son fils, et qui se chante pour ainsi dire. M. Hale, à qui j’emprunte ces détails, fait observer à ce sujet que toute personne capable d’apprendre par cœur une chanson de cent vers peut sans peine apprendre et retenir une de ces généalogies. Celles-ci constituent, on le voit, de véritables documens historiques, mais qui, comme bien d’autres, demandent à être employés avec prudence. Évidemment elles prêtent à des interprétations qui permettent de remonter dans le passé avec beaucoup de certitude quand il s’agit de la succession de ce qu’on peut appeler les dates relatives des événemens ; mais quand il s’agit de dates absolues, celles-ci deviennent très différentes, selon la valeur que l’on attribue aux phrases représentant les vers du poème généalogique. Chacune d’elles en effet peut être considé-

  1. Le trajet n’est guère que de 40 à 50 kilomètres ; mais les moyens de transport étaient bien imparfaits. En parlant de ces radeaux, M. Hale ajoute que « sous le rapport de la sûreté et de la rapidité, ils sont à un simple canot ce que celui-ci est a un bateau à vapeur. »
  2. Hale. — Encore un exemple de dissémination involontaire accomplie par suite d’un accident de mer exactement dans la direction déclarée impossible.