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spacieuses et les ports bien abrités qui se creusent en divers points de ses côtes septentrionales, sa situation enfin, intermédiaire entre le Péloponèse, dont elle semble continuer les promontoires méridionaux, et la plage libyenne, qu’elle regarde au sud, voilà bien des avantages, bien des circonstances favorables qui sembleraient avoir dû assurer à la Crète les plus brillantes destinées. Cependant, si l’on y regarde de près, et que l’on jette les yeux sur la carte, on est frappé tout d’abord de la forme allongée de l’île, et des difficultés qu’une telle configuration a dû opposer à l’établissement de l’unité politique. Cette impression devient bien autrement vive et forte chez le voyageur qui, se rendant de Malte en Syrie, longe les rivages Crétois pour se couvrir des vents du nord, et surtout chez celui qui met le pied dans l’île, qui en parcourt les campagnes et en gravit les sommets. Il voit courir presque en ligne droite, sur une longueur de trente-cinq lieues environ, la chaîne de montagnes qui forme comme l’épine dorsale de la Crète ; il la voit s’élever et s’abaisser, se relever et redescendre encore, enfermer dans ses plis ou serrer entre ses escarpemens et la mer de profondes vallées, des plaines étroites qui n’ont pour ainsi dire pas de communication avec le reste du pays, et il ne peut se défendre de penser qu’il y avait bien des chances pour qu’un sol ainsi découpé et fractionné ne réussît pas à échapper au morcellement politique et à toutes les conséquences désastreuses que peut entraîner ce système poussé à l’excès.

Les Hellènes commencèrent de bonne heure à répandre sur les rivages crétois de nombreux groupes de hardis colons, et à peupler de cités achéennes et doriennes les vallées de l’Ida et des Leuca-Ori ou Monts-Blancs. Avant que cette population ne fût devenue trop nombreuse et trop dense, la Crète, dans les plus anciennes traditions que la Grèce ait conservées, nous apparaît réunie sous une domination unique que représente le nom légendaire de Minos, et, grâce à cette réunion, maîtresse de toutes les mers qui baignent ses rivages. La thalassocratie de Minos, c’est-à-dire la suprématie maritime que la Crète avait conquise pendant cette période toute primitive, était restée célèbre en Grèce : historiens et orateurs y font plus tard de fréquentes allusions à propos de l’empire maritime que fondèrent, au profit d’Athènes, dans le cours du Ve siècle avant Jésus-Christ, les Thémistocle, les Aristide, les Cimon, les Périclès. La suite par malheur ne répondit pas à ces débuts, qui semblaient pleins de promesses. Tandis que des îles bien moins grandes, et pour qui la nature avait bien moins fait, comme Chios, Rhodes ou Samos, comme Thasos même ou Egine, jetaient à certaines époques un incomparable éclat, la Crète, depuis le commencement des