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à sentir le danger et à prendre peur, avaient beau promettre officiellement à Rome de lui envoyer les auxiliaires qu’elle réclamait en se fondant sur les traités, c’était sous les drapeaux des ennemis de Rome qu’affluaient, attirés par l’appât d’une haute paie, les archers crétois. Dans toutes ces armées qu’eut à disperser l’une après l’autre la conquête romaine, Rome trouva toujours devant elle les Crétois ; Philippe, Antiochus, Persée, Nabis, Mithridate, comptaient parmi leurs meilleurs officiers des aventuriers crétois, rompus à la guerre de montagnes et féconds en stratagèmes et en ruses variées ; des Crétois formaient l’élite de leurs troupes légères. En même temps, séduites par les profits dont on leur offrait le partage, les cités crétoises ouvraient leurs ports aux pirates de Cilicie, fournissaient de nombreuses recrues à leurs équipages, et leur achetaient le butin et les esclaves qu’ils allaient enlever jusque sur les côtes de l’Italie, jusqu’aux portes de Rome. C’était trop d’imprévoyance et d’audace : Rome finit par perdre patience ; une armée romaine débarqua dans l’île ; malgré des succès passagers et une vigoureuse résistance, les cités principales, l’une après l’autre, capitulèrent ou furent emportées d’assaut, et en 66 avant Jésus-Christ un Métellus mérita par la soumission définitive de l’île le surnom de Critique.

Je ne vois pas de pays dans le monde ancien à qui la conquête ait dû être plus avantageuse qu’à la Crète : pour la première fois depuis bien des siècles, les guerres intestines cessèrent de ravager l’île, et peu à peu s’éteignit jusqu’au souvenir des haineuses et sanglantes rivalités d’autrefois. Sous l’influence de la paix romaine, comme dit Pline, la Crète paraît avoir atteint un degré de richesse et de prospérité qu’elle n’avait jamais connu. Sa situation insulaire la mit longtemps à l’abri des invasions barbares qui désolaient le continent, et elle resta pendant tout le cours des Ve et VIe siècles de notre ère une des provinces les plus peuplées et les plus florissantes de l’empire d’Orient. Ce ne fut qu’au VIIe siècle, quand les Arabes devinrent maîtres de la mer, qu’elle commença à souffrir ; après y avoir fait de nombreuses incursions, les musulmans finirent, en 825, par s’emparer de l’île tout entière. La ville de Candie dut son origine et son nom au large fossé, kandak en arabe, que les conquérans creusèrent autour du premier camp retranché où ils se fortifièrent après leur débarquement, non loin des ruines de Cnosse. Nicéphore Phocas, en 961, replaça la Crète sous la domination grecque jusqu’à l’époque de la quatrième croisade. Après la prise de Constantinople par les Latins, cette île devint la possession la plus importante de Venise dans la Méditerranée. La république, après avoir victorieusement défendu cette royale conquête contre les soulèvemens des Grecs crétois excités et secourus par la jalousie de Gênes, en resta maîtresse incontestée jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Les sultans