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REVUE. — CHRONIQUE.

mieux placée dans une petite comédie que dans une légende poétique. L’air qui suit, et dans lequel Mireille exprime son amour pour Vincent, n’a d’autre mérite que d’être trop long, trop développé, et surtout trop modulé pour les ressources de la voix humaine. Dans le second mouvement en mi bémol, où Mireille se dit : — A toi mon âme, je suis ta femme, — M. Gounod a enveloppé ce texte vulgaire d’une mélopée qui n’est ni de la mélodie franche, ni du récitatif cursif, qui est la forme de la déclamation lyrique. Il ne manque rien à cet air pour être digne de la Mireille du Théâtre-Lyrique : on y a mis des points d’orgue et de chétives fioritures. Je passe sur des couplets pour voix de basse que chante Ourrias pour célébrer les filles d’Arles, et j’arrive au finale, dont le motif est la demande de la main de Mireille par Ambroise, père de Vincent. Le refus de Ramon, l’opposition que fait Ourrias, le désespoir de Mireille, sa résistance héroïque, les menaces de son père, tous ces épisodes sont encadrés dans un grand tableau qui est la page la mieux réussie de l’ouvrage.

Le troisième acte représente le Val-d’Enfer. Cette scène de mélodrame est d’un style violent qui fatigue l’esprit sans produire aucune émotion. Passons sur un duo entre Vincent et Ourrias qui ne mérite pas même une mention honorable, et nous laisserons aussi aux amateurs des rêvasseries de M. Gounod l’air de basse dans lequel Ourrias s’accuse d’avoir assassiné Vincent. Ce n’est pas une mélodie, ce n’est pas un chant, ce n’est pas un récit cursif ; c’est une mêlée de sons et d’accords dissonans, effet grossier que M. Wagner lui-même blâmerait. J’aime mieux le chœur des moissonneurs qui ouvre le quatrième acte : il est joli, et il produit un bon effet, parce qu’il repose sur un motif bien accusé qui domine heureusement l’harmonie de l’ensemble. Les parties marchent avec aisance, et ne font pas dans ce morceau ces intervalles diminués dont abuse si souvent M. Gounod. Ce chant est coupé par un chœur d’enfans qui ajoute à l’heureux effet de l’introduction. J’estime moins le duo entre Mireille et Vincenette : le chant en est commun, et la conclusion en la majeur manque d’originalité. Une chanson de berger, d’un accent mélancolique, fait une diversion piquante avec le duo qui précède. Que dire de tout ce qui reste encore de morceaux et de scènes dans cet interminable quatrième acte ? La vision de Mireille est quelque chose d’inouï. Je signale aux artistes et aux hommes de goût la partie de cette déclamation vulgaire qui commence à la page 196 de la partition. « Marchons, marchons, » dit Mireille, et la voilà partie sur une mélopée laide, commune, remplie d’intervalles crus comme celui qui traduit ce mot : « sous le ciel qui rayonne. » Le morceau étant en si majeur, le saut périlleux est sol dièse tombant sur si dièse ! O musique, où es-tu ? On peut la trouver peut-être dans la marche religieuse et le chœur qui se chante à l’église des Saintes-Maries au commencement du cinquième acte. Clairement écrite sur un motif bien accusé, cette scène est d’autant plus remarquable qu’elle tranche avec le style