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mer perchés sur le bord des précipices. Pour y atteindre, il a fallu ouvrir des rues, c’est-à-dire creuser des escaliers dans la roche. Une de ces rues que j’escaladai a, si j’ai bien compté, cent seize marches ; elle est coupée d’étage en étage par des terrasses également taillées dans la pierre et bordées d’un côté par un parapet, de l’autre par des cottages de pêcheurs adossés à la masse raide et presque perpendiculaire des falaises qui surplombent. Ces maisons, crépies à la chaux, ont un air de propreté ; mais elles sont froides et nues : sur le devant s’alignent de petits jardins sans fleurs. De telles habitations participent en quelque sorte à la rigidité de la roche, où elles semblent enracinées. À défaut d’arbustes et de verdure, on voit çà et là s’agiter au vent dans ces carrés de terrain du linge blanc qui sèche, des chemises bleues, quelquefois même des guirlandes de poissons salés maintenues en l’air par de grandes perches. Tout ici par le de la navigation et de la pêche. Du haut de la, dernière terrasse, la vue embrasse presque toute la ville de Brixham, — un damier de maisons avec des cours étroites et des escaliers en plein air ; — mais le regard s’arrête de préférence sur le port, qui offre vraiment une scène intéressante.

Ce port est un large bassin encadré du côté de la ville par des quais solidement construits en pierre de taille, et du côté de la mer défendu par une puissante jetée (pier) élevée en 1803[1]. Sur ces eaux tranquilles dorment à l’abri des vents les bateaux ou semaques (fishing smacks) qui pour le moment ne sont point occupés aux travaux de la pêche. Il y a dix ans, Brixham était une des villes de pêcheurs les plus florissantes de la côte ; elle est aujourd’hui en décadence. Les poissons se retirent et s’en vont vers des eaux plus profondes. À l’époque où je visitai le bassin de Torbay, une circonstance ajoutait encore à la consternation des habitans. Depuis douze mois, le vent s’était tout à fait abaissé, et avec le système de filets adopté par les pêcheurs de Brixham, on ne prend rien quand ne souffle point une bonne et vigoureuse brise. Ce calme obstiné se traduisait en conséquences fatales. Je vis sur le port plusieurs smacks en faillite : les armateurs avaient emprunté sur leurs barques de pêche plus que ces barques elles-mêmes ne valaient, et maintenant, saisis par les créanciers, démâtés, obligés de garder le rivage, les pauvres smacks faisaient la triste figure d’un prisonnier pour dettes dans les cours de Queen’s Bench. Un état

  1. Une pierre chargée d’une inscription perpétue le souvenir des faits qui se rattachent à cet ouvrage d’utilité publique. L’inscription dit que la jetée fut érigée par les habitans de Brixham au moyen d’une souscription divisée en actions de 100 livres sterling ; elle ajoute que M. John Mathews, un bourgeois de la ville, s’est signalé par son ardeur et sa noble conduite en prenant l’initiative d’une telle entreprise.