Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaut un autre. Dans les éducations préparatoires, où le produit du travail est presque nul, l’ouvrier donne son temps et son argent ; l’éducation en fabrique, dans le roulement de ses profits, peut le rétribuer dès le premier jour et accroître graduellement son salaire. La méthode est plus avantageuse, si elle est moins perfectionnée.

Telle est donc la part des bras ; voyons maintenant celle de l’intelligence. Ici encore les Anglais procèdent à l’inverse de nous ; ils se rattachent à ce que nous abandonnons ; ils ne s’occupent plus de l’ouvrier comme ouvrier, ils s’en occupent comme homme. Tout ce qu’ils ont imaginé d’institutions en sa faveur est en partie pour le distraire de ce travail professionnel qui nous assiège comme une idée fixe ; ils veulent qu’il trouve au dehors autre chose que des réminiscences de l’atelier. Dans les instituts mécaniques, il y a bien ce qui sert, la grammaire, la géométrie, les sciences d’application ; mais il y a aussi ce qui élève les idées et les sentimens, ce qui est supérieur au métier, la géographie, l’histoire, l’astronomie avec des mappemondes et des tables synoptiques ; il y a également ce qui délasse, des jeux d’adresse et de calcul, la danse, la musique, et souvent des thés le soir accompagnés de lectures. Les fatigues du corps ont pour soulagement les exercices de l’esprit ; le tout vient en son lieu, dans son ordre, avec des attentions et des ménagemens infinis. En fabrique, l’ouvrier est. chez le patron ; dans les instituts mécaniques, il est chez lui, quoique le local et les principaux frais soient le produit de libéralités particulières. C’est beaucoup ; on est allé plus loin encore : des collèges ont été fondés pour les ouvriers ; on a voulu atteindre un degré de plus dans la culture de leurs facultés. Trois de ces collèges existent à Manchester ; je les ai visités en détail : ils étaient récens, et les classes étaient déjà garnies. Les matières enseignées portaient sur les lettres autant que sur les sciences. Une circonstance y frappait surtout et mérite d’être remarquée : le latin y figurait comme U figure d’ailleurs dans les programmes de plusieurs instituts mécaniques. Comprendre le latin dans des cours faits à des ouvriers, c’est une hardiesse qui doit donner à réfléchir avant de le supprimer dans nos lycées. De toutes les manières il demeure constant que si en Angleterre l’apprentissage manuel ne dépasse pas le seuil de la fabrique, si on a le préjugé de croire que l’éducation des bras atteint dans cette école un degré de perfection suffisant, d’amples compensations sont ménagées à l’ouvrier quand il a fini sa journée, soit qu’il veuille se raffermir dans la théorie, soit qu’il préfère trouver dans les lettres élémentaires, dans les arts d’agrément, une diversion à ses pénibles travaux. Maintenant qui des Anglais ou de nous suit la meilleure voie ? On peut en juger. N’entrer dans la manufacture qu’avec un fonds d’instruction acquis, c’est un tribut préalable d’argent, de