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vive sensation et marquait le point de départ d’une période nouvelle. La vraie méthode philosophique devait profiter d’abord à la science : Linné s’en empara. Voilà le grand esprit qui, pendant la période de la liberté, représenta fidèlement en Suède, avec une originalité incontestable, les meilleures inspirations du XVIIIe siècle, son ardente curiosité d’esprit, son goût de logique rigoureuse et claire, son amour de l’humanité. Il partagea les faiblesses de son temps, non pas l’indifférence religieuse ni le scepticisme, mais au contraire une certaine superstition fort commune dans un siècle qui prétendait s’être affranchi de tous préjugea et de toute discipline. Ce que d’autres avaient mérité par l’orgueil, il le subit par une sorte de timidité. Contemporain de Voltaire, compatriote de Swedenborg, il eut à un très haut degré la clairvoyance et la perspicacité qui semblaient être alors les apanages de l’esprit français, et, par un singulier contraste, il céda en même temps à ces tendances mystiques que les peuples du Nord commençaient à répandre en Europe[1].

La Suède s’était familiarisée avec notre littérature comittee avec notre philosophie ; on jouait à Stockholm Molière et Racine ; Boileau était traduit, et des poètes nationaux comme Greutz et Gyllenborg adoptaient les préceptes les plus sévères de notre versification et de notre goût. Voltaire, par l’avènement de la mère de Gustave III, avait pris possession pour ainsi dire d’une province nouvelle, et régnait désormais à Ulricsdal et à Drottningholm, : où résidait la cour suédoise, aussi bien qu’à Potsdam. Il comptait depuis longtemps Louise Ulrique, comme ses sœurs, la princesse Amélie et la margrave de Bayreuth, dans sa clientèle princière : il lui adressait de petits vers, un quatrain sur les premiers cheveux blancs du grand Frédéric, un impromptu sur une rose que ce héros avait désirée ; elle lui répondait par des épîtres où les neuf sœurs, Mars, Morphée, l’Hélicon et Cythère étaient invoqués sans cesse. Voltaire l’encourageait : « Quoi ! vous faites des vers, madame ! et vous en faites comme le roi votre frère ! C’est Apollon qui a les muses pour sœurs. » Depuis qu’ils avaient une reine philosophe et depuis que leurs poètes se proclamaient ses élèves, Voltaire trouvait de l’esprit aux Suédois ; il poussait la condescendance jusqu’à promettre de refaire son Charles XII. C’est le théâtre surtout, pendant le XVIIIB siècle, qui, avec ses séductions de tout genre, popularisa au loin notre esprit et nos mœurs. Il paraît qu’on avait songé pour la première fois en 1699, sous Charles XII, à faire venir à Stockholm une troupe française, et, malgré la série de guerres qui s’ouvrit

  1. Nous avons fait connaître son curieux écrit inédit, Nemesis divina, dans la Revue du 1er mars 1861.