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avait des pieds d’argile, mais qu’il ne possédait point cette force d’action ni cette constitution robuste devant lesquelles le droit public de l’Europe devrait s’effacer. La grandeur prépondérante de la Russie est une question d’avenir, elle n’est point du domaine de la réalité présente. Il faudrait, pour qu’elle pût jamais s’établir, beaucoup de faiblesse et d’imprévoyance de la part des autres nations. S’il est un reproche auquel nous nous soyons sciemment exposé, c’est celui de rester au-dessous de la réalité. Nos contradicteurs, s’ils ont lu notre travail autrement que sous l’empire d’une idée préconçue, n’ont pu y voir autre chose qu’un avertissement sérieux : le pays le plus intéressé à se bien connaître, c’est la Russie elle-même ; elle ne doit point agir comme ces enfans qui croient éviter le péril en fermant les yeux. Si elle a cessé d’être l’empire du silence, si les discussions extérieures peuvent y pénétrer, qu’elle ne se laisse point égarer par un faux sentiment d’amour-propre ; constater le mal, c’est empêcher des fautes nouvelles qui s’aggravent, c’est préparer le remède. Nous repoussons le procès de tendance qu’on prétend nous intenter ; ce n’est pas notre faute si les faits parlent aussi haut, et nous laissons l’art de les grouper avec une habileté que n’accompagne peut-être pas toujours la conviction à ceux qui essaient de pallier le mal et de voiler la situation véritable.

Avant M. de Thoerner, le gouverneur de la banque de Saint-Pétersbourg, le baron Stieglitz, avait essayé d’expliquer les mesures prises par ce grand établissement à l’égard de l’échange des billets contre espèces. Tous ceux qui ont lu sa lettre du 22 janvier 1864 comprendront pourquoi nous n’avons pas cru qu’il fût urgent d’y répondre, d’autant plus que M. Stieglitz déclarait qu’il ne voulait point continuer une discussion à ce sujet. Le gouverneur de la banque de Saint-Pétersbourg commence par dire qu’il ne s’arrêtera pas à l’énumération des fautes commises dans l’administration des finances russes, « car quel état n’a pas commis quelques graves erreurs, avec leur cortège de circonstances fâcheuses ? » Il reconnaît l’énorme accroissement du papier-monnaie ; mais il le présente « comme une nécessité absolue dont il serait injuste de critiquer les conséquences, car les guerres ne se laissent jamais arrêter par des considérations pécuniaires. On est obligé d’y pourvoir quand même. » On pourrait, répondre que c’est un motif de plus pour ne point nourrir des velléités injustes et envahissantes. Quant à la situation des finances russes, rien dans les explications données par M. Stieglitz n’infirme l’exactitude de nos renseignemens. Comme nous l’avons expliqué, la Russie a conclu en 1862 un emprunt de 15 millions de livres sterling (375 millions de francs) dans le dessein d’arriver à l’échange des billets de banque contre du numéraire. Soit dit en passant, cela prouve qu’elle n’appréciait pas les avantages et la nécessité du papier-monnaie non remboursable que célèbrent, aujourd’hui que la reprise des paiemens a échoué, certains écrivains.

Le point essentiel, le seul qui ait réellement engagé M. Stieglitz à nous répondre, c’est la singulière opération en vertu de laquelle, sachant à merveille qu’elle ne pourrait point continuer le remboursement en espèces, la banque de Pétersbourg a devancé le moment indiqué pour le paiement au pair, sauf à ne plus payer les billets à aucun prix au bout de