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médecins, changeurs, marchands, secrétaires des pachas, employés de finances, interprètes dans toute la Turquie, les Grecs ont jeté sur ce pays comme un immense réseau qui leur permet d’accaparer toutes les affaires, de prendre en main le fil de toutes les intrigues gouvernementales et de toutes les tentatives populaires. Ils sont même destinés à raviver le sentiment national des autres races chrétiennes. En Servie, les germes d’émancipation et de renaissance ont été jetés par Rhigas et par l’hospodar Constantin Ypsilantis bien avant que l’on n’aperçût les premiers symptômes du mouvement qui s’est manifesté de nos jours au sein des populations slaves. Les Roumains de la Moldavie et de la Valachie, n’ont commencé à se sentir une nation qu’après avoir été relevés de leur ignorance et de leur abaissement par les princes phanariotes, après avoir reçu pendant plus d’un siècle une éducation exclusivement grecque, après que Bucharest eut été le premier centre reconstitué de vie hellénique. Encore aujourd’hui, quelques progrès qu’ils aient accomplis, ils parviendraient difficilement à se passer de l’élément d’activité et d’intelligence que maintiennent les colonies d’Hellènes établies dans presque toutes leurs grandes villes, où elles ont su se mettre en possession du commerce et d’un grand nombre de professions libérales, telles que la médecine. Là où l’hellénisme a fait pénétrer son influence, les Bulgares ont aussi été relevés à leurs propres yeux ; dans l’état de décadence où la servitude les avait réduits, ils n’avaient eux-mêmes presque plus l’amour de la patrie, et leurs seuls patriotes sont sortis des écoles grecques. Il serait facile de montrer l’action des Grecs, aussi grande et aussi féconde, pénétrant par une sorte d’infiltration latente dans l’Asie-Mineure et dans la Syrie, au sein des Maronites du Liban, et même plus d’une fois auprès des chefs musulmans qui, comme Ali-Bey et l’émir Daher, essayèrent d’y élever le drapeau d’une nationalité arabe contre la Porte-Ottomane.

De toutes les races qui habitent la Turquie, la race grecque est la plus intelligente et celle qui possède le plus remarquable ensemble de qualités. Seuls dans l’empire ottoman, les Grecs s’occupent activement de fabriquer ; ils sont plus laborieux qu’aucun autre peuple du midi. Dès les premiers débuts de leur régénération, ils se sont montrés tellement supérieurs dans le commerce et dans la navigation, que les Anglais, bons juges en pareille matière, et tout étonnés de leur habileté, de leur persévérance, de leur esprit d’économie, ont prédit à leur marine un succès extraordinaire. Et cette prédiction, nous la voyons aujourd’hui réalisée, puisque les Grecs, tant du royaume hellénique que des ports de la côte de Turquie, ont actuellement entre leurs mains tout le cabotage du Levant et font même une concurrence victorieuse aux autres pavillons dans la