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gouvernement, secondés par la population paisible, pour extirper du pays cette plaie, que les progrès de la prospérité matérielle feront seuls entièrement disparaître en intéressant tous les citoyens au maintien de la tranquillité publique. L’existence du brigandage est le grand reproche que l’on adresse toujours à la Grèce ; mais il faut reconnaître qu’on l’exagère singulièrement. À en croire certains récits, on ne pourrait faire un pas hors d’Athènes sans être attaqué et dépouillé ; rien n’est plus inexact. La Grèce vient de traverser douze mois entiers sans gouvernement, sans administration, sans armée, et dans cet espace de temps qui lui eût été si favorable, le brigandage s’est développé sur une échelle infiniment moindre qu’il n’existait, il y a douze ou quinze ans, dans la situation normale des choses. On parlait beaucoup de brigands en 1863 dans les journaux de l’Occident, on en parlait beaucoup aussi à Athènes, surtout dans la colonie européenne ; mais en fait de crimes de ce genre bien avérés, on ne pouvait en citer que neuf dans toute l’étendue du pays et dans l’année entière. Sortiez-vous d’Athènes pour aller dans les provinces, vous trouviez sur les routes une complète sécurité, et nous pouvons en parler pertinemment, car trois mois se sont à peine écoulés depuis que nous avons parcouru une grande partie de la Grèce, seul, sans escorte, et sans y faire une mauvaise rencontre. Il serait d’ailleurs bien difficile que le brigandage fût complètement déraciné dans le royaume hellénique. Il y a quarante ans, la vie de klephte, c’est-à-dire d’outlaw, de bandit sinon de brigand, était la seule ouverte à l’homme d’un caractère assez généreux pour ne pas courber patiemment la tête sous le joug des dominateurs étrangers, elle était la seule forme de la résistance nationale : elle est donc entourée d’une auréole de gloire chevaleresque. Les pères de ceux qui arrivent maintenant à l’âge d’homme l’ont tous menée, et bien des anciens klephtes sont encore vivans et pleins de vigueur, racontant à la jeunesse leurs exploits, héroïques sans doute et ennoblis par la grandeur de la cause qu’ils servaient, mais où souvent les conditions et les nécessités d’une guerre de cette nature les ont amenés à des aventures peu compatibles avec un état de société régulier, quelquefois même avec le code pénal. La durée d’une génération ne suffit pas pour effacer des impressions de ce genre, pour faire complètement pénétrer dans toutes les couches de la population l’idée bien nette que, la condition politique du pays ayant changé, la révolte contre l’état social a aussi changé de nature, et pour lui faire comprendre que ce qui était action patriotique chez les pères est devenu crime chez les fils. Cela est encore plus difficile dans les provinces limitrophes de la Turquie ; de l’autre côté de la frontière (que ne marque dans toute son étendue aucun obstacle naturel), la situation des choses est la même qu’en Grèce avant 1821. Ainsi la