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premier mouvement. Il y avait vingt chances contre une que la sympathie ne pût jamais s’établir entre le pays et son nouveau souverain. C’était une beaucoup plus grande imprudence de mettre à la tête d’un état qui demandait par-dessus tout une main ferme pour le guider dans la voie de la renaissance un prince trop jeune pour régner par lui-même. Enfin, puisque le choix qu’on avait fait obligeait de commencer par une régence, les puissances signataires du traité de Londres témoignaient d’une condescendance bien regrettable en laissant le roi Louis de Bavière confier exclusivement la régence à des Allemands qui n’avaient jamais habité la Grèce, et ne savaient rien ni de ses besoins ni de son caractère.

On a rarement vu plus mauvais gouvernement que ne le fut celui de la régence : les Bavarois semblaient vraiment ne voir dans la Grèce qu’une ferme à exploiter ; ils achevaient de l’épuiser au lieu de travailler à la relever de ses ruines. La régence compta d’abord dans son sein quelques hommes profondément respectables, comme Maurer et d’Abel ; mais au bout de peu de temps ces hommes furent obligés de se retirer : l’influence funeste du comte d’Armansberg et de Ruydhart demeura seule maîtresse du terrain, et se maintint pendant les premières années de la majorité du roi. Le triomphe du système de germanisation de la Grèce fut alors complet : l’administration était devenue presque entièrement allemande ; l’armée, en immense majorité, était composée de Bavarois, tandis que les officiers de la guerre de l’indépendance n’avaient pour la plupart ni pensions ni grades reconnus par l’état ; l’absolutisme était la règle du gouvernement ; l’emprunt de 60 millions, garanti par les puissances protectrices, était dilapidé presque sans profit aucun pour la Grèce. Et cependant l’Europe ne faisait rien ; elle laissait la régence agir à sa volonté, et les puissances se bornaient à nouer des intrigues pour faire prédominer tel membre de cette régence qu’elles croyaient leur être favorable.

Vint enfin le moment où le roi prit réellement en main les rênes du pouvoir, et voulut constituer un gouvernement indigène. Ce moment par malheur coïncida avec les événemens de 1840 ; la Grèce devint plus que jamais le terrain des luttes d’influence entre les diverses puissances de l’Occident, luttes qui avaient pris tant de vivacité à l’occasion des affaires égyptiennes. Non-seulement on intrigua pour faire arriver tel ou tel parti à la direction des affaires, mais plusieurs gouvernemens ; oubliant le devoir que leur imposait le titre de protecteurs du royaume hellénique, travaillèrent à jeter la Grèce dans les périls d’une révolution. Ainsi dans les années 1839 et 1840 la Russie organisa la vaste conspiration des philorthodoxes ; en 1843, la Russie et l’Angleterre coalisées poussèrent énergiquement au mouvement du 3 septembre, que le bon sens et le patriotisme