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puissent garantir le Bosphore contre les tentatives de toute ambition conquérante.

Convaincu que son devoir de souverain était d’empêcher toute opposition, même l’opposition légale, le roi Othon n’a jamais voulu laisser au peuple grec la liberté des élections. Non-seulement le système des candidatures officielles florissait dans le royaume hellénique, mais l’administration ne se bornait pas, quand elle voyait l’opposition prendre des forces sur un point, à une simple pression morale : elle allait jusqu’aux actes matériels. En 1857, un Anglais distingué, M. Nassau Senior, donnait à ce sujet quelques détails qu’il est utile de reproduire, et nous pouvons, ayant assisté à des opérations électorales en Grèce dans l’automne de 1859, attester l’exactitude de ses assertions. « Il est avéré que pendant la nuit on viole le secret des urnes ; si on craint qu’elles ne contiennent pas le nom du candidat officiel, on y introduit des bulletins plus corrects. Quelquefois on glisse dans l’urne des bulletins qui portent les noms des candidats bien pensans avant que le vote ait commencé. Lors de la dernière élection, on s’y est pris si grossièrement, dans certaines circonscriptions, que les urnes ont contenu plus de bulletins qu’il n’y avait d’électeurs inscrits. On s’est arrangé pour empêcher toute candidature gênante… Je sais beaucoup d’élections dans lesquelles les salles du vote étaient assiégées par des bandes de gens armés qui empêchaient les électeurs favorables aux candidats ennemis de la cour d’approcher des urnes. »

Les ministres n’étaient réellement que des commis d’un rang supérieur, travaillant sous les yeux du roi et d’après ses ordres. À part un ministère de quelques mois présidé par M. Metaxa, et qui suivit la révolution du 3 septembre, ainsi qu’un autre ministère, également court, dirigé par M. Mavrocordatos, à part les premiers temps du ministère de Colettis avant sa rupture avec M. Metaxa, le ministère de l’amiral Canaris en 1848, et le nouveau ministère de M. Mavrocordatos, imposé en 1854 par l’occupation anglo-française, la Grèce, en dix-neuf ans de possession nominale du régime parlementaire, n’a jamais vu fonctionner un cabinet vraiment constitutionnel, gouvernant par lui-même et sous sa propre responsabilité. Préoccupé par-dessus tout du droit, qui lui appartenait en effet d’après la constitution, de choisir ses ministres lui-même, le roi Othon, pour les appeler au pouvoir, ne consultait ni les chambres ni le pays. Il prenait à droite et à gauche des hommes sans rapports antérieurs les uns avec les autres, mais qui lui paraissaient propres à diriger telle branche de l’administration, et formait ainsi des cabinets sans homogénéité, ne représentant ni partis ni idées. Aussi ces ministères laissaient-ils toujours apercevoir la personne du prince agissant derrière eux ; la responsabilité ministérielle était