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— Maintenant, reprit-elle, songez que j’ai besoin de vous, que vous voir sans cesse est nécessaire à mon courage, et que, faible par nature, toujours près de fléchir, je me retrempe quand vous êtes là… N’oubliez pas ce que je vous ai dit bien souvent : il est des jours où je me sens lâche et où cette femme obtient de moi, par la violence de ses paroles, une obéissance dont je ne sais pas me défendre.

— Serait-il donc impossible de vous affranchir ?

— Rien de plus impossible, du moins jusqu’à nouvel ordre… C’est de silence que j’ai besoin, et vous savez combien sa colère est tapageuse ; mais le temps viendra peut-être, Austin, où vous briserez vous-même ce joug odieux… Seriez-vous très étonné, reprit-elle après un moment de silence, seriez-vous choqué de me voir embrasser un jour la foi catholique ?

— Mais cette question…

— Oh ! rassurez-vous !… Mon abjuration n’est pas encore chose faite… Ce qui me tente, ce sont ces églises toujours ouvertes où l’on trouve accès chaque fois que l’âme fatiguée a besoin de prières… Si vous étiez femme, Austin, et si, avec une tante comme la mienne, vous aviez dans le cœur une amertume secrète dont vous ne pourriez faire part à l’être que vous aimez le mieux au monde, vous comprendriez ce que je viens de vous dire… En ce moment, par exemple, je voudrais entrer avec vous dans ce temple dont nous sépare une grille inexorable… Je voudrais parler à Dieu, vous ayant à mes côtés… Et, tenez, si cela ne vous déplaît point, venez me chercher demain matin… C’est dimanche,… nous retournerons ensemble à Westminster-Abbey !…


IX

Austin n’eut garde de manquer à ce pieux rendez-vous, mais il n’y porta pas, nous devons le dire, tout le recueillement que les circonstances semblaient commander. Tandis qu’Eleanor s’abandonnait tout entière aux élans de sa religieuse nature, Austin, d’abord ému par la tristesse, l’anxiété, qui semblaient la dévorer, finit par s’absorber peu à peu dans la contemplation du réseau lumineux que formaient au sein de l’atmosphère épaisse du temple les rayons du soleil matinal. Vaguement il ruminait mille indécises pensées, songeant aux merveilles de l’architecture monastique, à la foi naïve des siècles qui l’ont fait éclore, — et cela jusqu’à un moment donné où les usances de la liturgie l’obligèrent à se lever. Ce mouvement, tout à fait machinal, changea le cours de ses idées en lui rappelant l’orateur qui prend la parole. Il n’eut plus en tête que le discours d’abjuration récemment prononcé par sir Robert Peel, et qui fut le