Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la carrière politique à laquelle il avait un moment aspiré. Gil Macdonald était associé à ce nouveau plan, et avec eux devait aussi s’embarquer le jeune prisonnier dont la physionomie et le regard avaient si vivement frappé le fiancé d’Eleanor dès le premier jour de son entrée à Millbank. C’était un être singulier dont les manières habituellement distinguées contrastaient avec ses antécédens fâcheux et la situation qu’ils lui avaient faite, d’ailleurs plein de mystères et de contradictions, fécond en détours subtils, en réponses évasives, mais possédant aux yeux d’Austin, outre tous les droits de l’infortune, le charme de cette ressemblance à laquelle il ne voulait plus s’arrêter depuis qu’elle avait failli compromettre sa raison.

S’appelait-il Goatley, comme il le prétendait, ou Charlton, comme l’assuraient quelques-uns des prisonniers ? Était-il à bon droit inscrit sous le nom de Browning sur les registres de Millbank ? C’est ce qu’Austin dut renoncer à savoir, tant il y avait de réticences capricieuses, de mensonges inconciliables, dans les dires de cet être dégradé qu’il s’agissait de ramener peu à peu, et dont la guérison morale devait être, parmi les expiations d’Austin, la plus efficace en même temps que la plus difficile.


XVI

Un nouveau lien s’établit entre ces deux prisonniers le jour où, une révolte éclatant parmi leurs compagnons de captivité, ils prirent tous deux le parti de l’ordre, et dans le moment le plus critique, sauvèrent d’une mort imminente le directeur du pénitentiaire. La récompense ne se fit pas attendre longtemps. Huit jours après cet incident remarquable, un ordre ministériel leur apportait remise absolue du restant de leur peine, et contre toute attente ils se trouvaient libres à la même heure, au même moment. Goatley-Charlton-Browning (choisissez le nom qu’il vous plaira) osait à peine compter sur les bonnes paroles qu’Austin lui avait parfois adressées, et ce fut avec une certaine réserve qu’il vint prendre congé de lui ; mais son erreur ne dura guère. L’établissement au Canada était plus que jamais un projet arrêté. Plus que jamais, Austin s’entêtait à poursuivre son travail de réhabilitation, et par conséquent il était loin de renoncer à sa mission charitable. Seulement il craignait fort que le nouveau converti ne vînt à lui échapper, et le surveillait d’un œil jaloux tout en se livrant avec Gil aux préparatifs de leur pacifique croisade.

Ils en étaient là quand il reçut, quelques jours après sa sortie de prison, un billet dont l’écriture, le pli et le parfum lui donnèrent