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Aussi, vois-tu, sur ton passage,
Si ce mot s’éveillait encor,
Ne dis rien, enfant, — c’est plus sage ; —
Mais, dénouant tes cheveux d’or,
Calme et superbe d’insolence,
Ouvre ta tunique en silence,
Lève ton bras, rond, ferme et blanc,
Souris à leur parole amère,
Et, comme la Phryné, ta mère,
Montre ton sein étincelant !

JAMAIS.

Donc nous aurons passé, l’un à l’autre inconnu,
Raillant l’amour d’autrui pour mieux cacher le nôtre,
L’un et l’autre muets, attendant l’un et l’autre
L’aveu pénible et doux qui n’est jamais venu.

Pourtant nous nous aimions. — Sous ces paroles lentes
Qui tombaient une à une, à regret et si bas,
Que d’autres se pressaient à nos lèvres tremblantes,
Et comme nous parlions… quand nous ne parlions pas !

Sur notre cœur ému, qui fermait donc nos lèvres ?
Comment, même à l’heure où les molles voluptés
Tendent leurs pièges d’or, sommes-nous donc restés
Rebelles à leurs voix et calmes dans leurs fièvres ?

Qui nous faisait railler ? qui nous faisait sourire ?
Nous pouvions être heureux sans notre orgueil maudit,
Nous n’avions pour cela qu’un seul mot à nous dire,
Madame, et ce mot-là, nous ne l’avons pas dit …

En est-ce assez, et quand plierons-nous les genoux ?
Qui tromper à présent, connaissant qui nous sommes ?
Voudrons-nous nous aimer ? Parler, l’oserons-nous ?
Hélas ! — Jamais. — Hélas ! qui maudiront les hommes,

Si le bonheur n’a pas plus souvent pitié d’eux ?
Tu m’aimes, je le sais, tu sais que je t’adore,
Eh bien ! nous passerons l’un près de l’autre encore,
Souriant l’un et l’autre et muets tous les deux.