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peut-être, sans son association passagère avec M. Dumas, n’eût-elle pas aperçu toute la valeur de cet aimable ressort d’action. Il y en a deux qui sont du plus heureux effet : celui par lequel la marquise de Villemer absout toutes les sottises de son fils le duc d’Aléria au premier acte, celui par lequel, au dernier, Mlle de Xaintrailles déclare qu’elle accepte Mlle de Saint-Geneix pour sa belle-sœur. Qui donc a songé, devant ces deux baisers chastes et honnêtes, expressions d’une sensibilité contenue et loyale, aux mouvemens équivoques des personnages du Demi-Monde et du Fils naturel ? Personne assurément, et pourtant cet emploi judicieux des vivacités physiques de l’âme remplaçant la parole par l’acte est une des originalités les mieux marquées du talent de M. Dumas. Si donc, comme on l’a dit, le jeune auteur a donné des conseils à Mme Sand, son travail achevé, il aurait été bien inspiré d’en prendre d’elle à son tour, et de lui demander sa collaboration amicale pour sa pièce nouvelle de l’Ami des Femmes ; elle lui aurait appris des secrets plus précieux que ceux qu’il pouvait lui enseigner, et sa comédie aurait gagné en bienséance sans rien perdre en franchise.

La bienséance, tel est le charme principal et le grand caractère de la pièce nouvelle de Mme Sand. Grâces en soient rendues au ciel, enfin nous trouvons une pièce où les sentimens sont d’accord avec la morale, où les passions sont d’accord avec le bon sens, où l’honnêteté ne nous révolte pas par sa brutalité et son cynisme, où la vertu ne nous fatigue pas par son pédantisme, où les pensées que l’on cache sont aussi avouables que celles qu’on exprime. Nous sommes chez d’honnêtes gens, appartenant à la saine nature humaine, aussi irréprochables dans leurs paroles que dans leurs actes, et qui considéreraient à juste titre un mot grossier comme l’équivalent d’une mauvaise action, et un geste impropre comme une infraction à la morale. Tous les personnages sont également sympathiques, et le cœur va de l’un à l’autre sans décider lequel il préfère et sans même avoir envie d’exprimer une préférence, tant leurs mobiles sont également clairs, avouables, naturels, tant leurs préjugés sont honorables, leurs scrupules légitimes ou leurs folies excusables, tant en un mot leur conduite est expliquée par l’auteur avec une impartialité intelligente et judicieuse. Le duc d’Aléria, qui a ruiné gaîment sa famille, ne nous scandalise pas plus qu’il ne scandalise ses proches, car nous comprenons que les folies de sa jeunesse ont bien pu dissiper sa fortune, mais non pas entamer son honneur, — et les préjugés nobiliaires de la marquise, — préjugés bien légers, bien à fleur d’âme, bien tempérés par les délicatesses de la conscience et de l’éducation, — nous semblent tout naturels, tant ils se confondent avec les scrupules légitimes d’une mère de famille qui est chargée de veiller à l’honneur de son nom