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ce personnage, assez vrai par certains côtés, mais qui dégénère trop vite dans l’aimable plaisant que nous allons vous présenter.

Pendant qu’il débite ses fadaises cyniques devant Mme Laverdet, qui l’écoute avec la patience hypocrite d’une vieille femme qui a eu l’adresse d’entretenir pendant vingt-cinq ans une liaison secrète sans donner à son mari l’ombre d’un soupçon, Mme de Simerose fait son entrée. « Eh bien ! vous qui êtes un si grand connaisseur des femmes, quel est l’état du cœur de cette dame ? » dit à peu près Mme Laverdet à M. de Ryons. Là-dessus M. de Ryons, le contempteur du sexe féminin, s’approche résolument de Mme de Simerose, et avec cette audace que donne toujours le mépris, justifié ou non, qu’on se permet envers ceux auxquels on s’adresse, il lui dit à brûle-pourpoint : « Madame, savez-vous l’anglais ? — Pourquoi cela, monsieur ? — Parce que je vous prierais de me dire dans cette langue : Arriverons-nous bientôt à Strasbourg, monsieur ? » La belle dame, un peu étonnée de cette indiscrétion qui ressemble à une impolitesse calculée, satisfait à la demande de M. de Ryons et le prie de lui dire le sens de cette singulière plaisanterie. Alors M. de Ryons raconte qu’allant à Strasbourg, il a fait route avec une dame voilée dont il n’a pu voir le visage, mais dont il a entendu la voix, car, ayant ramassé son gant, elle lui a dit avec le timbre le plus limpide et le plus vibrant : i thank you, sir. Lorsqu’il a vu entrer Mme de Simerose, le souvenir de la dame voilée s’est présenté aussitôt à sa mémoire ; c’était la même taille, le même port, les mêmes gestes, le même son de voix, et sa demande n’avait d’autre motif que de vérifier l’identité des deux personnes. Nous résumons de notre mieux cette plaisanterie aussi obscure que peu séante, qui traverse les trois premiers actes de la pièce comme un rébus indécent dont on cherche vainement le mot, et qui n’a d’équivalent au monde qu’une certaine mystification bien connue dans l’argot des ateliers et des coulisses sous le nom de la diligence de Lyon. Vous ne comprenez pas, n’est-il pas vrai ? mais M. Dumas me comprendra certainement, et ne désavouera pas la parenté qui existe entre les deux plaisanteries.

Pour avoir le mot de l’énigme, il faut sauter à pieds joints par-dessus le second acte, qui n’est qu’une longue conversation fort spirituelle sans doute, mais qui ne fait pas marcher la pièce d’un seul pas. Les interlocuteurs s’y renvoient les bons mots comme des balles et y combattent avec la langue comme des gladiateurs avec l’épée. C’est une de ces longues séances de salles d’armes de l’esprit auxquelles M. Dumas se complaît, et qu’il conduit avec toute l’autorité d’un prévôt de régiment. Ces assauts sont fort intéressans pour ceux qui sont ferrés sur l’escrime parisienne, mais ils