avec son mari ? Quel sujet de plainte en effet un mari peut-il donner qui ne se rencontre aussi bien dans un amant ? La jalousie ? Mais l’époux le plus jaloux ne sera pas un tyran plus insupportable que ce M. de Montègre, qui la fatigue de ses surveillances et de ses espionnages, qui l’effraie de ses menaces et de ses violences. La brutalité ? Mais l’époux le plus brutal ne dépassera jamais en insolence, en paroles blessantes, en sarcasmes cruels, ce M. de Ryons, qui sauve les femmes en les maltraitant, et qui semble dire à Mme de Simerose, en la ramenant vers son mari : Voyez de quels périls je vous sauve ! Vous étiez exposée à vous perdre pour des gens aussi grossiers que moi, qui vous auraient outragée, maltraitée, tyrannisée. Moi, ami sincère, je vous ai outragée une seule fois pour vous dispenser de l’être toujours. Retournez vers votre mari, et sachez désormais qu’un amant n’est autre chose qu’un mari dont le joug est plus pesant encore, parce qu’il est moins légitime. » C’est là la moralité de l’Ami des femmes, s’il est permis de tirer une moralité de cet écheveau embrouillé de scènes qu’on ne sait comment dénouer. Mme de Simerose se réconcilie avec son mari, et nous applaudissons d’autant plus volontiers à ce dénoûment que nous n’avons jamais compris pourquoi ils s’étaient séparés, à moins que ce ne soit pour fournir un prétexte de pièce à M. Dumas.
Voilà la pièce ; nous l’avons racontée de notre mieux, et ce n’était pas une tâche facile, car elle est aussi obscure que paradoxale, et les chandelles romaines du feu d’artifice habituel de M. Dumas n’y répandent pas la clarté. Le sujet s’y dérobe à chaque instant à l’attention du spectateur, et l’action y marche avec une inégalité qui finit par engendrer une impatience et une fatigue singulières. M. Dumas continue, dans cette pièce, à commettre l’erreur qu’il avait déjà commise dans ses deux précédentes comédies, erreur qui consiste à prendre une succession de scènes pour une œuvre dramatique. Comme dans les pièces précédentes de l’auteur, les épisodes abondent, épisodes dont on ne voit pas clairement le lien avec le sujet. Le principal de ces épisodes, est celui de la mystification que M. de Ryons fait subir à une charmante fille qui s’appelle Mlle Hackendorf. Mlle Hackendorf, fille d’un millionnaire étranger, est une de ces brillantes comètes exotiques que nous voyons de temps à autre traverser le ciel parisien, dont on parle tout un hiver et qu’on a oubliées l’hiver suivant aussi complètement que si elles n’avaient jamais apparu. Tout n’est pas roses dans cette vie d’éclat et de fêtes perpétuelles ; Mlle Hackendorf en sait quelque chose. Elle est jeune, belle, riche, élégante, et cependant personne n’aspire au bonheur d’être son époux ; tout le monde l’admire, personne ne la désire. Elle se rend parfaitement compte de ce qu’il y a de blessant dans cette situation et se compare ingénieusement