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plus multipliées. Il serait cependant absurde et injuste de considérer la masse des protestans comme livrée à des vicissitudes indéfinies de croyances. Dans la vie pratique et réelle, la foi d’un protestant ne peut être soumise à d’incessantes variations et demeurer dans cet état de mutation continue que la philosophie allemande appelle le devenir. Chaque église, chaque section du protestantisme se fixe à un certain corps de doctrine, à certains dogmes arrêtés. La politique latitudinaire, indifférente aux dissidences dogmatiques, a toujours été désavouée et combattue par les sectes protestantes les plus zélées, les plus religieuses. La liberté et la tolérance protestantes ne consistent point à couvrir sous une unité relâchée des divergences de croyances ; elles consistent à laisser les dissidens maîtres de sortir de l’église établie pour en aller former une autre. Ainsi sont respectées à la fois et la liberté de ceux qui veulent s’en tenir à l’ancien dogme et la liberté de ceux qui adoptent un symbole nouveau ; mais, pour que cette liberté subsiste réellement, il importe que l’état reconnaisse la liberté des cultes et n’en favorise aucun d’une organisation privilégiée et salariée. Qu’arrive-t-il en effet chez nous ? Le conseil presbytéral de Paris ne veut pas être latitudinaire ; il a son orthodoxie, et il y tient : c’est à ce titre qu’il se sépare de M. Coquerel. Rien de plus naturel, de plus légitime, si l’état n’avait pas chez nous établi un protestantisme officiel. Dans ce cas-là, M. Coquerel, avec les adhérens que lui ont gagnés les qualités de son esprit et de Son caractère, pourrait fonder une autre église, l’église de l’union libérale, à côté de l’église orthodoxe ; mais notre état politique et les mœurs que nos institutions nous ont faites rendent cette entreprise impossible. Pour défendre sa foi, le conseil presbytéral s’expose donc à laisser sans église, sans lien religieux, une portion des protestans de Paris. Ceux qui savent l’heureuse influence que la conservation des cadres religieux exerce sur la société ne peuvent voir sans regret une politique qui aboutit à une pareille conséquence. En d’autres pays, les intelligences les plus affranchies du dogme ont pu, grâce à la liberté des cultes, se maintenir dans un milieu religieux et garder à leur action morale une puissante efficacité. Channing était unitairien ; s’il eût existé en France, les chaires dont dispose le conseil presbytéral lui eussent été fermées. La féconde mission de l’une des âmes les plus religieuses, d’un des plus grands chrétiens de ce siècle, eût été perdue pour l’humanité, ou se fût consumée en de froids et stériles essais de philosophie et de philanthropie. Les chrétiens scrupuleux du conseil presbytéral feraient bien de réfléchir à l’étrange situation que notre politique en matière de culte crée au protestantisme français. Il faut de deux choses l’une : ou bien qu’ils réclament l’entière liberté des cultes, qu’ils répudient les avantages d’une église privilégiée et salariée, qu’ils protestent contre le régime des concordats, dont la résurrection a été une des œuvres les plus rétrogrades de Napoléon, qu’ils travaillent avec une énergie convaincue à l’émancipation religieuse de la France, — ou bien