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En achevant ces paroles de malédiction, elle gratta la terre avec ses mains crispées, et essaya de lancer une pincée de poussière à la face du prêtre étranger. À cette formule d’imprécations succéda une clameur générale; des pierres furent jetées au père Joseph, qui se retira lentement, sachant bien que les Hindous aiment à crier, à maudire, à gesticuler, mais en viennent rarement à des voies de fait. Bientôt les cris cessèrent, et cette population un instant surexcitée par la colère retomba dans un morne abattement. Quant au missionnaire, il poursuivit sa route en faisant le tour du village inhospitalier qui lui avait refusé le passage. Il était midi, la chaleur devenait accablante. Les palmiers sauvages qui se dressaient par bouquets sur le sol sablonneux ne répandaient au-dessous d’eux qu’une ombre étroite : c’étaient comme autant de parasols suspendus à de trop grandes hauteurs pour abriter la tête du passant. Le tattou et son cavalier commençaient à souffrir également de la faim et de la soif; aussi, lorsque se présenta, au tournant de la route, un petit ruisseau bordé sur ses deux rives d’une végétation plus abondante, le cheval s’arrêta, et le père Joseph mit pied à terre.

Le lieu était bien choisi pour faire halte; ce petit coin de terre couvert d’ombre et rafraîchi par une eau courante semblait une oasis au milieu d’un pays brûlé par les feux d’un soleil impitoyable. Tandis que le cheval, débarrassé de la bride, broutait quelques touffes d’herbes, le père Joseph tira de son sac un pain blanc, des bananes, avec deux ou trois de ces oranges monstrueuses, grosses comme des melons, que les créoles ont nommées des pamplemousses. Dans ces pays où l’homme respecte la vie des animaux même les plus nuisibles, les oiseaux se montrent familiers jusqu’à l’impertinence. Des corneilles au des luisant, à l’œil avisé, descendaient des arbres voisins pour venir becqueter les miettes qui tombaient de la main du voyageur. Le coucou noir courait sur les branches, battant de l’aile, faisant la roue avec sa longue queue, et répétant sans cesse son cri assourdissant. Quelques vautours fatigués se tenaient stupidement perchés sur des arbres morts, le bec ouvert, la paupière abaissée, tandis que d’autres, flairant au loin une proie invisible, traçaient sur l’azur d’un ciel profond de grands cercles, et montaient si haut que l’œil ne pouvait plus les distinguer. Çà et là éclatait sous l’épais feuillage un bruit sec accompagné de sourds glapissemens; c’étaient de petits singes au pelage fauve qui brisaient sous leurs dents les noyaux des fruits sauvages, et se poursuivaient en exécutant mille gambades. A coup sûr, ce spectacle n’avait rien de nouveau pour le missionnaire, qui parcourait depuis longtemps ces régions tropicales, dont la vieille civilisation des Aryens n’a point changé l’aspect primitif; cependant il le contemplait avec un certain plaisir ;