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furtif par les portes entr’ouvertes. Les statues placées dans les niches, images bizarres, grossières ou menaçantes, avaient l’air de le regarder avec un sourire de pitié et de colère. Il y en avait aussi d’abominables devant lesquelles il baissait les yeux en rougissant. Le néophyte voyait les brahmanes remonter les marches qui entourent les étangs sacrés, traîner sur les dalles de pierre leurs longs pagnes blancs bordés de rouge, et se perdre comme des fantômes sous les sombres colonnades. Ces personnages à la démarche grave et sereine, qui laissaient tout simplement sécher sur eux leurs vêtemens humides, passaient et repassaient comme des sages plongés dans des méditations profondes. L’habitude de la domination qu’ils exercent de père en fils depuis tant de siècles sur les populations ignorantes leur a donné cette apparence de dignité qui tout d’abord inspire le respect. Occupés durant tout le jour du soin de leurs corps, ils se baignent, se frottent de diverses essences, mangent, dorment et se promènent avec une étonnante solennité, parce que ces actes naturels sont pour eux autant de pratiques religieuses.

Un peu revenu de sa première impression de frayeur, Déodat considéra avec une certaine complaisance ces prêtres idolâtres qui affectaient des airs de divinité. Il fit un retour sur lui-même et compara la douce existence de ces hommes privilégiés avec la vie précaire que lui imposait sa qualité de chrétien. Lui, fils de brahmane, il devait renoncer à jouir de la considération si enviée à laquelle sa naissance lui donnait des droits; il n’osait pénétrer dans l’enceinte de ces temples magnifiques où ceux de sa caste vivaient libres et fiers comme des demi-dieux! En versant sur son front l’eau du baptême, le père Joseph ne l’avait-il pas dépouillé de toutes les prérogatives de sa caste? N’était-il pas tombé aussi bas qu’un paria? Des larmes montaient à ses yeux tandis que ces réflexions troublaient son esprit, et il s’assit sur une pierre pour pleurer. A ce moment retentit au milieu de cet amas de pagodes séparées entre elles par des étangs la conque sonore dans laquelle soufflent les prêtres hindous pour appeler la foule aux cérémonies de leur culte; les voûtes des temples se renvoyaient en échos prolongés les vibrations de ce rauque instrument pareilles au mugissement affaibli d’un taureau. Déodat se leva et vit de loin l’idole de Dourgâ, la terrible divinité aux huit bras, se balancer dans un palanquin somptueux que soutenaient douze porteurs. Les bayadères dansaient comme des bacchantes devant la statue; l’air était imprégné de l’odeur pénétrante des parfums qui brûlaient de toutes parts, des gongs et des trompettes de cuivre terminées par des gueules de monstres résonnaient par intervalles comme des clameurs mêlées de sanglots. La splendide clarté du soleil faisait scintiller les paillettes d’or qui constellaient les robes transparentes des danseuses; sur les bras et sur les