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notre gouvernement était informé des lettres dangereuses que la reine recevait du roi de Prusse son frère, vint à Versailles conférer avec Choiseul lui-même et prépara le voyage du prince royal en France. Tels furent les commencemens du parti de la cour ou des patriotes, comme ils s’appelaient. Ce parti, en faveur duquel la France avait consenti à de nouvelles largesses, était encore imparfaitement uni. Une dépêche de M. de Vergennes nous apprend quels en étaient les principaux chefs dans les premiers temps de la diète nouvelle; nous connaissons déjà quelques-uns d’entre eux, que nous rencontrerons plus d’une fois encore dans la suite de notre récit. Cette dépêche montre aussi avec quelle sérieuse attention la correspondance diplomatique, ranimée sous Choiseul, était encore écrite, ce qu’elle devenait sous la plume du nouvel ambassadeur de France en Suède, et quel désordre s’offrait à lui lors de son arrivée à Stockholm.

Le premier chef du parti de la cour était le comte Charles-Frédéric Scheffer, qui avait accompagné Gustave pendant son voyage à Paris. M. de Vergennes loue son honnêteté, son dévouement, ses talens supérieurs; mais tant d’éminentes qualités étaient compromises, dit-il, par une légèreté et une indiscrétion qui lui faisaient perdre tout ascendant. Ce témoignage de Vergennes est grave; il est d’accord avec ce que nous avons dit du comte Scheffer comme gouverneur du prince royal, et il nous fait prévoir quelles pourront être plus tard l’inconsistance et la mobilité de Gustave III ayant auprès de lui un tel conseiller.


« Le baron Ulric Scheffer, son frère, n’a pas des qualités aussi brillantes, continue Vergennes, mais il en a de plus solides; ses vues sont justes et profondes; personne, à mon avis, ne saisit mieux que lui le vrai point d’une affaire, ses rapports, ses conséquences, et n’est plus capable d’une résolution ferme et courageuse; mais un fonds de paresse et d’indolence, le goût du plaisir et de la dissipation, l’éloignent le plus souvent de son objet. Ces deux frères, l’un pour être trop ouvert et trop franc, l’autre pour ne l’être pas assez, n’ont pas, à beaucoup près, dans le parti toute la considération et tout le crédit qu’ils devraient avoir. Le seul dessein sur lequel leur activité ne s’endort point est de s’assurer exclusivement la confiance du roi leur maître, ou du moins de ne la partager qu’avec des gens qui ne puissent leur faire ombrage, et surtout d’empêcher que le maréchal comte de Fersen n’y fasse trop de progrès.

« Le maréchal comte de Fersen[1], le citoyen le plus illustre par le rôle principal qu’il a joué si longtemps dans sa patrie comme chef du parti des chapeaux, est l’homme peut-être le plus difficile à bien définir. C’est avec regret que je me vois dans l’obligation de tracer une esquisse d’un caractère qui me semble réunir bien des contrastes. Pour ne rien donner au hasard,

  1. Père du célèbre et malheureux Axel Fersen, si dévoué à Louis XVI et à Marie-Antoinette, et que nous connaîtrons plus tard.