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bourgeoisie, de son côté, voulait qu’en dehors de ses corporations étroites, qui ne dépassaient pas les murailles des villes, il n’y eût ni industrie ni commerce; elle exigeait par exemple que la cour prît l’engagement de ne commander aucune fourniture ni aucune emplette, fût-ce pour la vie de chaque jour, qu’en s’adressant directement à elle. Bien plus, les rivalités enfantent ici encore d’absurdes haines, la bourgeoisie, devenue plus riche que la noblesse, entendait qu’il fût interdit aux filles de bourgeois de se mésallier en contractant mariage avec des nobles. — Quant aux ordres inférieurs, ils affectaient une complète indépendance, dit M. de Vergennes, et ne respiraient que la démocratie : ils réclamaient leur part des privilèges, prétendaient à l’égalité avec la noblesse, et voulaient l’avilir.

Ainsi une animosité commune réunissait contre la noblesse les trois derniers ordres, car le clergé ne s’était pas en cela distingué des paysans ni des bourgeois. La passion d’une révolte longtemps préparée contre les prérogatives traditionnelles du premier ordre de l’état commençait à se répandre; une presse exaltée, enchérissant sur les lieux communs mis en faveur par l’école philosophique française du XVIIIe siècle, revendiquait l’égalité politique et l’égalité civile. Cette agitation funeste enfanta bientôt l’esprit d’insurrection jusque dans les rangs de l’armée; les soldats exprimèrent, eux aussi, leurs griefs, et d’insolens pamphlets rédigés en leur nom dénoncèrent avec violence l’orgueil des officiers, qui, pour la plupart, étaient nobles. Une de ces publications, qui avait beaucoup échauffé les esprits, fut traduite en justice; mais le procès traîna plus d’une année, pendant laquelle l’auteur, ayant à l’insu du gouvernement une libre entrée aux archives des tribunaux militaires, fit paraître en brochures mensuelles, avidement recherchées, des extraits de récits et de rapports plus ou moins officiels qui, au milieu du désordre, passaient pour des preuves authentiques à l’appui des accusations émises. L’importation anglaise des clubs préparait enfin des échos aux scandales et aux divagations politiques, et érigeait en face du pouvoir royal des puissances dangereuses bien qu’éphé-