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ni de blâme. Elle se bornait à exprimer sèchement le vœu qu’il fût encore possible de maintenir la paix; mais sa mauvaise humeur était visible, et se montre tout entière dans sa correspondance, où on la trouve balancée, il est vrai, à cette date, par la satisfaction qu’elle ressent de l’affaire de Pologne. Il faut voir de quel ton dégagé, avec persiflage et colère, elle parle, à travers cent nouvelles, littéraires ou autres, des deux graves épisodes qui préoccupaient les contemporains. « Je viens d’acheter, écrit-elle à Voltaire[1] le 1/12 septembre 1772, la collection de tableaux de feu M. de Crozat, et je suis en marché d’un diamant de la grosseur d’un œuf. Il est vrai qu’en augmentant ainsi ma dépense, d’un autre côté mes possessions se sont accrues un peu par un accord fait entre la cour de Vienne, le roi de Prusse et moi; nous n’avons pas trouvé d’autre moyen de garantir nos frontières que de les étendre. — A propos, que dites-vous de la révolution de Suède ? Voilà une nation qui perd en moins d’un quart d’heure sa constitution et sa liberté. Les états, entourés de troupes et de canons, ont délibéré vingt minutes sur cinquante-sept points, qu’ils ont signés, comme de raison. Je ne sais pas si cela peut s’appeler une douce violence, mais je vous garantis la Suède sans liberté et son roi aussi despotique que celui de France, et cela deux mois après que le souverain et la nation s’étaient juré réciproquement la stricte conservation de leurs droits. — Le père Adam[2] ne trouve-t-il pas que voilà bien des consciences en danger? »

Le roi de Prusse dissimula moins encore que l’impératrice quel était son dépit. Suivant M. de Vergennes, Frédéric II, avant même d’être informé entièrement, assurait à sa sœur, la mère de Gustave III, en répondant à ses vœux en faveur d’une révolution, que si les choses tournaient à l’avantage du roi de Suède, il ne pourrait se dispenser de joindre ses armées à celles de la Russie pour s’y opposer, ses engagemens avec cette puissance lui en faisant un devoir indispensable. Quant à Gustave III, il s’attendait à de telles dispositions, et dès les premières menaces il avait adressé la lettre suivante au vieux roi Louis XV, son unique allié.


« 18 septembre 1772. — Monsieur mon frère et cousin, il m’est bien agréable de pouvoir saisir toutes les occasions qui se présentent pour renouveler à votre majesté les assurances de la vive amitié et de la sincère reconnaissance dont je suis pénétré pour elle... Vous êtes déjà informé du

  1. Voyez le supplément de la Correspondance de Grimm et Diderot, in-8o, Paris, 1814, où se trouvent ces lignes parmi les morceaux de ses lettres supprimés par Catherine elle-même dans les précédens recueils, et qui sont restitués dans ce volume.
  2. On sait que ce jésuite avait à Ferney le joli métier d’aumônier de Voltaire, qui faisait avec lui sa partie d’échecs.