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sa sincérité et sa franchise, Hermance n’était-elle point cette vraie compagne du marin dont le caractère doit être à la hauteur des longues et dures épreuves de l’absence et du danger ? Peut-être aussi Jacques, assombri par les pensées qui l’avaient assailli depuis la mort de Gerbaud, avait-il besoin, pour les oublier, d’aimer et d’être aimé. Il se confia donc à son ami. Herbin fut enchanté, et s’engagea aussitôt à demander pour lui à ses parens la main de sa sœur. Au grand émoi de Jacques, il le fit en sa présence le soir même. Sans doute cette demande était prévue et désirée, car M. et Mme Herbin sourirent et dirent à Jacques d’aller chercher le consentement d’Hermance. La jeune fille, toute rougissante, leva sur Jacques ses yeux humides de plaisir et d’émotion et lui abandonna sa main. Ces jolies et rapides fiançailles terminées, il fut convenu que l’on se marierait le plus tôt possible, et, s’il n’eut été trop tard, Jacques serait allé tout de suite solliciter l’autorisation du ministre de la marine.

Dès ce moment, il fit partie de la famille et y prit ses repas. Dans la journée, il courait les magasins et faisait des choix pour la corbeille d’Hermance. Le soir, il restait auprès d’elle et ne comprenait pas pourquoi les heures s’envolaient si vite. Jamais il n’avait été si heureux. Aussi ne concevait-il plus les inquiétudes et l’effroi que lui avaient causés les dernières recommandations de Gerbaud. Il ne savait même plus si Gerbaud les lui avait faites, car il n’apercevait que dans une sorte de brouillard cette figure du meurtrier inconnu dont il avait été si longtemps obsédé. C’était certes à de bien stériles études qu’il s’était livré depuis un an, et dont les ambitieuses visées ne valaient ni un regard ni un sourire de la jeune fille qu’il aimait. Ce n’était plus maintenant, en face du bonheur dont il jouissait, qu’il serait assez fou pour se tourmenter ainsi. Il se disait cela quand il était seul, et hâtait le pas pour rentrer chez sa fiancée. Un soir, M. Herbin arriva un peu après l’heure du dîner. Tout en se mettant à table, il s’excusa : — Ce n’est pas ma faute, dit-il, j’ai rencontré ce pauvre de Girard. Le voilà de retour en France. Nous avons causé très longuement, il lui a été impossible de venir aujourd’hui ; mais vous le verrez demain.

Ni Mme Herbin ni sa fille ne lui répondirent.

M. de Girard, fit alors M. Herbin en s’adressant à Jacques Lambert, est un créole de La Martinique. En 1848, il m’a rendu un immense service ; sans lui, j’étais perdu : il m’a prêté une somme importante avec laquelle j’ai rétabli mes affaires. Grâce à Dieu, j’ai pu lui rendre son argent, mais je ne lui en garde pas moins une éternelle reconnaissance.

Jacques n’avait rien à répondre, Hermance et Mme Herbin conti-