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les grandes affaires contemporaines. Le comte de Broglie était en correspondance avec les insurgens d’Amérique, et les excitait à proclamer leur indépendance ; la cause de la Pologne surtout avait été sans cesse défendue auprès de Louis XV par son conseil secret : les avis généreux ne coûtent rien aux agens irresponsables, et l’occasion de donner un avis honorable était cette fois trop belle pour qu’on la laissât échapper[1].

En résumé, malgré les craintes imaginaires de Creutz, la diplomatie secrète du règne de Louis XV s’était trouvée d’accord avec sa politique déclarée pour offrir à la Suède un prompt secours en cas d’agression étrangère contre l’œuvre accomplie de concert avec Gustave III. Ce qui restait au cabinet de Versailles de son vieil ascendant, un instant ranimé par Choiseul et soutenu soit par les velléités secrètes que ce dernier épisode diplomatique vient de nous révéler, soit par des agens tels que M. de Saint-Priest et M. de Vergennes, avait écarté les suprêmes périls : la Suède était délivrée de l’anarchie; la France avait maintenu l’indépendance d’une ancienne alliée, rompu la ligue du Nord, rétabli l’équilibre si gravement menacé. Par malheur il n’y avait là qu’un effort partiel, auquel l’habileté de quelques hommes avait assuré le succès. C’était contre le démembrement de la Pologne, accompli précisément à la même époque, qu’il eût fallu être habile et résolu; ce dernier mal une fois commis, la balance de l’Europe, comme on disait alors, avait perdu son contre-poids. L’œuvre accomplie en Suède était insuffisante au point de vue de la politique générale; considérée en elle-même, elle était incomplète aussi : le cabinet de Versailles donna, par cette intervention, un témoignage d’énergie qui fut le dernier avant la guerre d’Amérique, et Gustave III ne sut ni étouffer entièrement les germes funestes que laisse d’ordinaire à sa suite un coup d’état, ni s’abstenir d’un rôle irréfléchi dans les affaires de l’Europe. Il est vrai que les temps devenaient singulièrement difficiles et allaient offrir des complications inouïes, où nous verrons Gustave III s’embarrasser et se perdre.


A. GEFFROY.

  1. Voyez les études de M. Alexis de Saint-Priest sur le Partage de la Pologne dans la Revue du 1er et 15 octobre 1849. Voyez aussi, pour l’histoire de la diplomatie secrète, les Mémoires du maréchal de Richelieu, et l’ouvrage publié par M. de Ségur sous ce titre : Politique de tous les cabinets de l’Europe pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, 2 vol. in-8o, 1793, ou 3 vol. in-8o, 1802. On y trouve, au tome Ier, un mémoire sur les avantages qui résulteront de la révolution de Suède. Parmi les desseins particuliers auxquels la diplomatie secrète avait été employée, se trouve un curieux projet de mariage, en 1770, entre l’archiduchesse Elisabeth, sœur de Marie-Antoinette, et le vieux Louis XV, que le parti des dévots voulut aussi marier, en 1772, à la princesse de Lamballe.