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la voie Sacrée, traversant le Forum et montant au Capitole pour y aller rendre grâces aux dieux comme un général victorieux. Il reprit la statue de Minerve, qu’il y avait déposée le jour de son départ pour l’exil, puis rentra sans doute dans la demeure paternelle des Carines, alors propriété de son frère, car dans cette ville où il triomphait il n’avait point de foyer. Sa maison du Palatin n’existait plus, mais il était dans Rome ; il venait de franchir cette porte Capène par laquelle il en était sorti si tristement seize mois auparavant, par laquelle il y rentrait si glorieusement aujourd’hui. Le lendemain, il parla dans le Forum et dans la curie ; il avait repris possession de ses deux anciens champs de triomphe.

Clodius, vaincu dans le sénat et dans le Champ-de-Mars, ne se découragea point ; la rue lui restait. Il y avait alors une disette de blé à Rome ; Clodius en rejetait la faute sur Pompée, et le peuple au théâtre l’en accusait. Clodius affirmait que les Italiens accourus dans l’intérêt de Cicéron avaient affamé la ville. Il organisa des troupes d’enfans, nous dirions de gamins, qui allèrent crier sous les fenêtres de Cicéron : « Du blé ! du blé ! » Une foule furieuse se précipita dans l’enceinte où l’on célébrait les jeux mégalésiens, et, interrompant peut-être une pièce de Térence, se rua sur la scène. Conduite par Clodius, elle assiégea le sénat dans le temple de la Concorde ; mais un grand nombre de citoyens se porta vers le Capitole et la dispersa. Cicéron retrouvait Rome aussi turbulente qu’il l’avait laissée. C’est sous le coup de la terreur inspirée par de pareils désordres, c’est dans cette séance menacée du Capitole, que Cicéron proposa de conférer pour cinq ans à Pompée un pouvoir absolu en tout ce qui concernait l’alimentation publique. Cicéron s’était d’abord renfermé chez lui ; mais, sommé de paraître au sénat, apprenant d’ailleurs que la bande de Clodius avait été rejetée dans le Champ-de-Mars, il vint donner cette marque de confiance et de reconnaissance à Pompée.

La grande affaire de Cicéron après son retour fut d’obtenir l’annulation des mesures qui l’avaient dépouillé. Peut-être le voit-on trop occupé à cette époque de cet intérêt particulier ; mais ce n’était pas seulement pour lui une question d’argent, il y allait de sa dignité. On l’avait traité comme un outlaw, Clodius avait fait raser sa maison du Palatin après y avoir mis le feu ; par une dérision insolente, il avait consacré le terrain qu’elle occupait à la Liberté : c’était déclarer la mort des complices de Catilina un acte de tyrannie, la plus odieuse, la plus dangereuse des accusations à Rome, et contre laquelle Cicéron se devait à lui-même de protester. D’ailleurs cette maison lui était chère ; il s’écriait dans son exil : « Je regrette la lumière (de Rome), le Forum, ma maison. » C’est, écrivait-il, ce que