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sidérables et sous leur garde. Si l’on en croyait une anecdote rapportée par Aulu-Gelle, certaines circonstances de l’achat de cette maison ne feraient pas grand honneur à Cicéron. Pour la payer, il aurait reçu clandestinement un prêt considérable d’un accusé qu’il s’était chargé de défendre, P. Sylla, et comme la chose transpirait, il aurait affirmé n’avoir rien reçu, « aussi vrai, aurait-il ajouté, que je n’achèterai pas la maison. » Plus tard, il eût répondu aux reproches que ce jésuitisme méritait : « Un père de famille prudent doit toujours dire qu’il ne veut pas acheter, afin d’éviter la concurrence. » Méprisons cette anecdote, et faisons comme César, qui, dans le recueil des bons mots de Cicéron circulant par la ville, reconnaissait sur-le-champ ceux qui n’étaient point de lui.

Cicéron plaida pour être réintégré dans sa propriété du Palatin devant un tribunal ecclésiastique, le collège des pontifes, probablement dans la Curia Calabra. Le grand-pontife César était absent, il guerroyait contre les Gaulois ; sans cela, c’est lui qui aurait jugé Cicéron. Clodius, en consacrant le terrain où s’élevait la maison du consulaire à la Liberté, prétendait lui avoir donné une attribution sacrée qui devait empêcher tout retour au propriétaire. Heureusement pour Cicéron, le tribun, peu au courant de la procédure religieuse, avait négligé quelques formalités ; les pontifes lui donnèrent tort sur ce qu’on pourrait appeler le point de droit canonique : au civil, le sénat prononça, dans le même sens, un arrêt en faveur de Cicéron.

Ce procès au sujet de la maison de Cicéron offre quelques détails qui peignent le temps et font connaître ce que pouvait se permettre un homme tel que Clodius. Clodius, dont la maison était placée derrière celle de Cicéron et par conséquent y touchait presque, avait voulu profiter de l’exil de son ennemi pour s’arrondir à ses dépens ; mais la maison de Cicéron ne lui suffisait pas, d’ailleurs une partie du terrain avait été consacrée à la Liberté. Clodius eut envie d’une maison attenante, celle d’un nommé Sejus. Sejus déclara qu’il ne la vendrait pas, et que Clodius ne l’aurait jamais de son vivant. Clodius le prit au mot, l’empoisonna, et acheta sa maison sous un nom emprunté. Il put ainsi établir un portique de trois cents pieds qui allait rejoindre celui de Catulus et rappelait de moins glorieux souvenirs. Le portique de Catulus lui-même avait été détruit par Clodius. Catulus était dans le parti du sénat ; les consuls, complices du séditieux tribun, avaient fermé les yeux. Cicéron se hâta de faire reconstruire sa maison. Il indique plusieurs fois dans ses lettres à quel point cette reconstruction est arrivée, et de sa villa de Cumes écrit à Atticus pour le remercier de ce qu’il est allé fréquemment surveiller les travaux. Après la décision des pontifes, Clodius, avec