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dans le sénat ; mais cette proposition indigna tellement que Pompée fut obligé de la désavouer. Ce fut alors que l’on consentit à le nommer seul consul. C’était fort différent. Le pouvoir d’un consul n’égalait point, à beaucoup près, la puissance absolue d’un dictateur.

Depuis que Milon avait voulu être consul sans sa permission, Pompée voulait le perdre ; il institua une question touchant le meurtre commis sur la voie Appienne ; puis il désigna les trois cent soixante jurés qui devaient juger Milon et le quœsitor chargé de présider au jugement. Pour la première fois, le procès commença par l’audition des témoins : jusque-là elle n’avait lieu qu’après les plaidoiries ; mais elle fut troublée par la fureur des amis de Clodius. Un des défenseurs de Milon se vit obligé de se réfugier dans le tribunal, et on demanda que Pompée, assis près du temple de Saturne, d’où il voyait le tumulte et semblait présider au Forum, vînt avec une force armée assurer la tranquillité des débats. Il vint en effet avec des soldats le lendemain. Ce jour-là, Rome avait un air d’émeute ; toutes les boutiques étaient fermées. Pompée avait placé des soldats à toutes les issues et devant tous les temples du Forum. Cicéron prononça un discours plein d’habileté, mais où l’on sent un peu d’embarras, car tantôt il disculpe, tantôt il loue Milon d’avoir tué Clodius. On peut croire que cet embarras fut encore plus grand en présence d’une foule dans laquelle beaucoup regrettaient Clodius, et en présence de bandits contre lesquels il ne se sentait protégé que par l’ennemi de Milon. En effet, le commencement de son discours fut accueilli par d’immenses huées, et le silence ne se rétablit dans cette multitude que lorsqu’elle eut senti le fer des soldats. Cicéron put alors reprendre son exorde ; mais il y avait dans cet incident de quoi troubler l’avocat.

Qu’on se figure bien la situation et le lieu de la scène. Domitius, qui préside le débat, est sur le tribunal, à la droite du Forum, devant le temple de Castor, dont trois colonnes indiquent aujourd’hui l’emplacement. Au pied du Capitole, du côté de l’Ærarium, c’est-à-dire du temple de Saturne, dont huit colonnes sont encore debout. Pompée est assis, comme la veille, entouré de soldats. En présence des lieux, on s’explique pourquoi Cicéron, s’adressant à lui, disait : « J’élève la voix pour que tu m’entendes. » En effet, il y avait entre eux plus de la demi-longueur du Forum. C’était ce même Forum dans lequel peu de temps auparavant avaient eu lieu les scènes de désordre qui suivirent la mort de Clodius ; Cicéron, en l’accusant d’avoir incendié mort le temple du sénat qu’il voulait renverser vivant, pouvait montrer les ruines de la curie embrasée par ses funérailles.

On le sait, le discours que nous admirons n’est point celui que