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l’histoire de Rome. D’ailleurs à Rome le souvenir de Caton est partout : dans le Champ-de-Mars, dans le Forum, où il combattit de ses discours et de sa personne la démagogie, qui, comme toujours, préparait la tyrannie, où il brava les fureurs et les insultes de la populace, et se fit traîner un jour de la curie à l’arc de Fabius, la plus grande longueur du Forum ; — dans la curie, où il éleva souvent sa voix austère contre les corruptions aristocratiques qui déshonoraient la liberté, sans être lui-même, et c’est là pour moi sa grandeur, jamais disposé à l’abandonner ; — au Capitole, où il appuya de sa parole le courage que Cicéron montra cette fois contre l’abominable parti de Catilina ; — enfin jusqu’au comitium, dans lequel il joua philosophiquement à la balle le jour où un autre que lui fut nommé préteur. Quand César envoya insolemment son ultimatum au sénat, Caton déclara dans la curie qu’il aimerait mieux mourir que se soumettre à ces conditions.

Tel fut Caton, inflexible et immuable jusqu’à la fin parmi la mobilité des hommes et des événemens. Nemo mutatum Catonem toties mutata republica vidit, a dit Sénèque. Sénèque, serviteur trop dévoué de l’empire et apologiste trop complaisant d’un empereur, a rendu justice à Caton. « Les uns, dit-il, penchaient pour César, les autres pour Pompée ; Caton seul était avec la république. » Salluste, qui du moins savait admirer les vertus qu’il ne pratiquait pas, le césarien Salluste a fait de César et de Caton un parallèle qu’il termine ainsi : « Caton aimait mieux être que paraître honnête. » Horace, l’aimable courtisan d’Auguste, a célébré l’âme inébranlable et la noble mort de Caton ; il pensait sans doute à l’oncle de son ancien général Brutus en peignant l’homme juste et ferme en son propos dont ni l’emportement d’une multitude voulant l’injustice, ni. un tyran qui menace, ne font sortir l’âme de sa ferme assiette ; mente quatit solida. Les historiens de tous les temps (hors le nôtre, j’en suis fâché pour lui) se sont inclinés avec respect devant ce type de la virilité morale.

Un dernier trait du caractère de Caton : il y avait dans cette âme si forte un grand fonds de tendresse, qualité si rare chez les Romains ; il adorait son frère et montra un vrai désespoir quand il le perdit. Ceux à qui déplaît la constance dans les sentimens, ceux qu’irrite la fermeté du caractère, qui jugent habile d’abjurer à propos des convictions gênantes, trouvent que Caton était un esprit borné, parce qu’il a conservé les siennes : ils en ont fait une espèce de fou chimérique ; mais, je l’ai déjà dit, nul ne fut plus clairvoyant que Caton : il avertit Pompée de son aveuglement quand il appuyait la démagogie de César ; il lui prédit qu’en grandissant César il se perdait, et dix ans après Pompée avoua que Caton avait eu raison. À ceux qui redoutaient les divisions de César et de Pompée, il ré-