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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/736

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ce n’est pas non plus un philosophe, quoiqu’il cherche de préférence dans les révolutions les principes et les idées, ni un écrivain littéraire facilement subjugué parle côté esthétique des choses. C’est un publiciste, et c’est précisément en cela que son talent est bien le fils de la société où il vit et des mouvemens intellectuels les plus récens. Qu’est-ce donc que cette société nouvelle telle qu’elle tend à se dégager de plus en plus et à se former? C’est un monde qui ne s’est point subitement métamorphosé sans doute dans ses mobiles permanens et dans ses tendances générales, mais qui s’est prodigieusement élargi et modifié dans ses cadres, dans ses perspectives et dans toutes ses conditions morales ou matérielles, — un monde qui n’exclut pas assurément les plus savantes et les plus patientes recherches de l’histoire, ni les plus hautes spéculations d’une philosophie désintéressée, mais oui es loisirs sont rares, où les goûts sont multiples, où les questions se pressent, où la vie est dévorante et rapide, où la littérature devient l’expression complexe de ce mouvement nouveau en même temps que l’auxiliaire, la complice d’une pensée universelle toujours en travail.

Qu’est-ce donc aussi qu’un publiciste? C’est un écrivain particulièrement des temps nouveaux, un homme qui, sans être exclusivement un historien ou un philosophe, est souvent l’un et l’autre, qui mêle la philosophie, la littérature et l’histoire, rassemblant sous une forme saisissante et rapide tous les élémens des questions à mesure qu’elles se succèdent, condensant parfois en quelques pages la vie d’une époque ou la vie d’un homme, suivant d’un esprit préparé par l’étude les luttes de l’intelligence, les évolutions de la pensée aussi bien que les événemens, mettant enfin un art invisible dans cette œuvre toujours nouvelle d’un enseignement substantiel et varié. De ce travail incessant que reste-t-il? Bien des fragmens disparaissent sans doute dans le tourbillon de tous les jours; il en reste assez pour former toute une littérature qui est peut-être la forme la plus originale de l’intelligence de notre temps. Il y a eu en effet, et sans sortir de notre siècle, des momens où l’imagination avait plus de fécondité et d’éclat, où l’intelligence littéraire se concentrait dans des œuvres plus achevées, plus savamment coordonnées. Je ne sais s’il y a eu bien des époques où se soient rencontrés à la fois plus de publicistes habiles à la discussion, plus d’esprits brillans ou sérieux portant dans l’étude courante des choses une sagacité délicatement ou énergiquement pénétrante, et l’auteur des Etudes et Portraits politiques est de cette légion nouvelle.

Je ne dis pas que dans cette carrière, qui a ses hasards, M. Lanfrey n’aille parfois, avec une intrépidité un peu dangereuse, jusqu’au bout de sa pensée, qu’il n’ait des vivacités extrêmes de ju-