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ses combinaisons d’idées ou d’images les plus singulières, dans ses paraphrases et ses paraboles les plus inattendues et les moins simples, la plus parfaite simplicité d’âme, une exquise candeur, l’oubli de soi le plus complet, une onction tendre et charmante qui gagne le cœur. Grâce à ce caractère d’affectueuse naïveté partout répandu, les défauts même de cette éloquence deviennent aimables, et quelque chose de plus encore : dulcia et sancta vitia. »

Après ce jugement, remarquable par la délicatesse et la mesure, voici, sous la rubrique du goût chez les jésuites, un arrêt spirituel et fin : « Le goût chez eux fut à l’origine, et longtemps, très au-dessous du zèle, et laissa place, dans leur enseignement public comme dans leurs écrits, à bien des grâces douteuses et à de singuliers écarts d’imagination. Rien ne rappelle leurs sermons comme certaines églises bâties alors sous l’inspiration de leur esprit. Dans l’œuvre de l’architecte comme dans celle de l’orateur, c’est la même surabondance de fleurs, la même profusion d’arabesques dévotes ; c’est le même déluge de figures allégoriques et d’emblèmes représentant aux yeux, avec une réalité parfois bizarre ou peu séante, les plus intimes émotions de la vie religieuse et ses plus délicats mystères. » Devant les jésuites enfin, M. Jacquinet place l’école toute contraire de Port-Royal, et dessine d’un mot avec une heureuse fermeté la virile figure de Saint-Cyran. « Sa méthode, dit-il, est d’aller tout droit des principes les plus élevés à la pratique. » Et voici comment l’auteur, ne quittant pas de vue son sujet, interprète ensuite les leçons que recevaient les religieux de Port-Royal en vue de la prédication : « un des ennemis auxquels M. de Saint-Cyran a juré une guerre implacable, c’est cette espèce d’amour-propre, le plus subtil de tous et le plus dangereux, qui se développe dans les plus hautes et les plus saintes occupations de l’esprit, et en corrompt tout le mérite. Il connaît bien cet ennemi-là, pour en avoir étudié la fidèle image chez les meilleurs maîtres de la vie morale, surtout pour l’avoir attentivement observé chez les autres et dans lui-même, et n’ignore rien de ses pièges délicats, de ses secrètes surprises… Méditer longtemps en silence devant Dieu et prier, prière et méditation confondues, voilà la meilleure préparation, et presque la seule utile, avant de parler aux âmes. »

L’excès visible d’une telle théorie n’échappe pas à M. Jacquinet, et, après avoir rendu justice aux vertueux stoïciens du christianisme, il se garde bien d’omettre, même à leur endroit, les devoirs que lui impose la critique. C’est qu’en effet l’esprit et le goût vraiment littéraires ne sont jamais chez lui mis en défaut ou distraits de leur calme et vigilante observation par les séductions d’une théorie particulière, quelque majesté que lui donne le caractère de ceux qui la soutiennent. Aussi y a-t-il un grand plaisir en même temps qu’un grand profit à lire son livre, qui n’est pas seulement une œuvre de sérieuse et forte doctrine littéraire, fruit d’une méditation sincère et d’une critique à la fois délicate et élevée, mais qui offre encore, au point de vue de l’exécution et de la forme, un harmonieux ensemble où chaque détail occupe la place et prend le relief qui convient,

A. Geffroy

V. de Mars.