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le seul glorieux, le seul vraiment ancêtre et dont on se souviendra, car seul il a gravé son nom sur le pur tableau des livres de l’esprit. Il s’est promis par là une gloire immortelle et toujours renouvelée au gré de chaque jeune génération, qui reviendra de dix en dix ans, comme en pèlerinage, pour contempler et couronner son monument :

Flots d’amis renaissans! puissent mes destinées
Vous amener à moi, de dix en dix années,
Attentifs à mon œuvre, et pour moi c’est assez!


Ni l’oubli ni le bruit; une sorte de discrétion respectueuse jusque dans la célébrité, je ne sais quoi de rare, de fidèle et de solennel, c’était son vœu et aussi son ferme espoir.

Noble foi! noble vœu! Mais nul désormais n’a droit de s’imposer ainsi tout sculpté, façonné de ses propres mains, et une fois pour toutes, au culte des contemporains et de la postérité. Le libre examen, qui n’épargne pas même les religions et les dieux, ne saurait être interdit à l’égard des poètes. La recherche est permise, le champ est ouvert à la curiosité. Il y a près de trente ans que j’en ai fait l’essai et la tentative ici même, dans cette Revue[1], à l’occasion d’un écrit en prose de l’illustre poète. J’étais bien timide alors, et je ne m’approchais qu’en tremblant pour faire quelques remarques et observations à demi voilées. Je suis devenu plus hardi, plus libre avec le temps. Je vais donc repasser sur quelques-uns des mêmes traits en appuyant davantage, en insistant et en complétant partout où je le pourrai. Il en est de la pointe de l’esprit comme d’un crayon; il faut recommencer à le tailler sans cesse.


I.

Et tout d’abord j’avais été induit en erreur sur la date de la naissance. J’avais cru M. de Vigny né le 27 mars 1799; je le rajeunissais de deux années. Il était né le 28 mars 1797. Personne, pas même celui qui y était le plus intéressé, ne m’éclaira sur cette faute. Les poètes sont quelquefois jaloux de dérober une année ou deux, comme les femmes. Je n’ai guère rien trouvé à ajouter depuis aux très brefs renseignemens de famille que j’ai donnés alors. Le nom de Vigny se présente rarement dans les mémoires historiques du dernier siècle. Je le rencontre une ou deux fois dans le Journal du duc de Luynes par exemple, à la date du vendredi 8 avril 1740. « Le roi, nous dit M. de Luynes, vient d’accorder une pension de 1,200 livres à M. de Vigny, écuyer de quartier, fils de M. de Vigny, lieu-

  1. 15 octobre 1835.