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tutions qui s’élevaient pour quelques-uns à plusieurs millions de livres, la réduction arbitraire et spoliatrice des rentes de l’Hôtel-de-Ville, le mécontentement de la noblesse des provinces privée de toute influence, la défaveur des protestans de jour en jour plus marquée, les querelles sans cesse renaissantes du jansénisme et la persécution contre Port-Royal, tels étaient les motifs principaux qui excitaient les malintentionnés de toute sorte et provoquaient de nombreux libelles. Ces causes d’irritation, Colbert aurait pu les atténuer par d’habiles ménagemens; mais, tout entier à la poursuite de ses desseins, fier des résultats déjà obtenus, il ne tenait à cette époque nul compte des résistances, et laissait à La Reynie le soin d’y mettre bon ordre. Celui-ci n’y épargna rien et poussa souvent la répression jusqu’aux extrêmes limites.

Un arrêt de 1666 avait autorisé, par exception, « les officiers ordinaires à juger en dernier ressort ceux qui écrivoient des nouvelles et des gazettes. » D’après quels principes? sur quelles bases? On l’ignore. Ce que l’on sait, par des preuves nombreuses, c’est la multiplicité des libelles. L’arrêt de 1666 n’avait été rendu que pour une année. Quatre ans après, La Reynie conseillait à Colbert de le remettre en vigueur et de faire savoir au procureur-général Talon « de quelle importance il étoit pour le service du roi et pour le bien de l’état de réprimer par les voies les plus rigoureuses la licence que l’on continuoit de se donner de semer dans le royaume et d’envoyer dans les pays étrangers des libelles manuscrits. » C’était aussi l’avis de Colbert, qui ne demandait pas mieux que de faire punir sévèrement les auteurs et distributeurs de gazettes à la main et de libelles. Il y était porté tout à la fois par ses souvenirs de la fronde et par ses dispositions naturelles; les dénonciations ne manquaient point d’ailleurs pour exciter son zèle. Le 16 février 1665, un habitant de Toulouse l’avertissait de l’arrivée d’un poète, du nom de Boyer, qui débitait avec effronterie des satires contre le roi et le contrôleur général. «Ne permettez pas, disait l’honnête anonyme, que ces petits fripons se raillent plus longtemps de leur roi ni de vous. » Et il désignait du même coup le premier président de Lamoignon (alors suspect d’opposition à Colbert) pour avoir chez lui un autre satirique, nommé La Chapelle, qui poétisait aussi. Cependant ni les amendes, ni l’exil, ni la Bastille, n’imposaient silence aux libellistes. Le 23 avril 1670, La Reynie informait Colbert qu’il venait de faire arrêter plusieurs écrivains porteurs « d’un très grand nombre de pièces manuscrites, et en général de tout ce qui avoit été fait d’infâme et de méchant depuis quelques années. » De son côté, le marquis de Seignelay stimulait sans cesse le lieutenant- général de police, et les recommandations fréquentes qu’il lui adres-