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merce des céréales, par une législation de la plus déplorable mobilité et les préjugés les plus funestes. Dans les premiers temps du ministère de Colbert, de graves embarras, suscités par la cherté des grains, avaient exigé des mesures extraordinaires; ils se reproduisirent avec un caractère plus alarmant vers la fin de l’administration de La Reynie. La disette avait pourtant été plus grande en 1661 et en 1662; mais on était au début du règne, et nonobstant les inquiétudes généralement répandues la population de Paris se borna, avec une résignation passive, à se porter en foule aux distributions de pain. De pressans appels faits à la charité des contemporains constatent la déplorable situation des provinces. Même en faisant la part d’une pieuse exagération, les misères durent être affreuses, et dans le Blaisois, en Touraine, en Anjou, elles dépassèrent tout ce que l’imagination peut rêver de plus douloureux. « Les pauvres, disait une relation de l’année 1662, sont sans lits, sans habits, sans linge, sans meubles, enfin dénués de tout. Plusieurs femmes et enfans ont été trouvés morts sur les chemins et dans les blés, la bouche pleine d’herbes... Depuis cinq cents ans, il ne s’est pas vu une misère pareille à celle de ce pays... »

Les quinze premières années de l’administration de La Reynie s’étaient écoulées sans que l’approvisionnement de Paris lui eût créé de sérieux sujets d’inquiétude. Pour dissiper quelques craintes conçues sans motif en 168, il avait suffi d’un achat de grains fait par le gouvernement à l’étranger. Vendu d’abord à 28 livres le setier (1 hectolitre 56 cent.), le blé du roi, comme on l’appelait, avait amené promptement la baisse du blé des marchands, qui était tombé bientôt à 16 livres. Cette concurrence faite au commerce de bonne foi n’était cependant ni juste ni prudente, car elle devait le décourager. Bonne contre un mal chimérique ou insignifiant, elle ne pouvait qu’accroître les illusions et détourner du vrai remède. Aussi, quand en 1692 on voulut y revenir, La Reynie se trouva aux prises avec les difficultés les plus sérieuses qu’il eût encore rencontrées. Ses lettres, celles du chancelier Pontchartrain, du président de Harlay, et les précieux documens recueillis par le commissaire Delamare contiennent les éclaircissemens les plus complets sur la crise des subsistances que le gouvernement allait traverser[1].

Les premières inquiétudes se manifestèrent vers la fin du printemps : le bruit courait alors que les blés avaient été niellés. Le public s’alarma; les marchands de Paris s’empressèrent d’acheter

  1. Dans la première partie d’une étude sur le Pain à Paris (Revue du 15 août 1863), M. André Cochut a signalé avec raison, à propos de cette crise, les fautes de l’administration et les dangers des innombrables règlemens soi-disant tutélaires qui entravaient l’industrie des marchands de blés et des boulangers sous l’ancien régime.