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n’était pas même douteuse. Deux de ses complices, van den Enden et de Préaux, le chargèrent à outrance. Le premier raconta les détails du voyage à Bruxelles, où il n’était allé, disait-il, que parce que le chevalier de Rohan l’avait menacé de mort. Il précisa le chiffre des pensions promises par le comte de Monterey : trente mille écus pour le chevalier, vingt mille pour La Tréaumont. Les révélations du chevalier de Préaux furent d’une autre nature. Se voyant perdu sans retour, il avoua que Rohan et La Tréaumont s’étaient souvent entretenus en sa présence de la possibilité d’enlever la reine et le dauphin pendant que le roi était à la tête de ses armées, qu’ils avaient composé ensemble les placards affichés en Normandie, où ils disaient aux nobles que, s’ils continuaient à tout endurer, le roi les traiterait comme en Turquie. Suivant lui, et ses déclarations étaient d’ailleurs confirmées par des projets de proclamations trouvés dans les papiers de La Tréaumont, le plan des conspirateurs était, après avoir renversé le gouvernement, de convoquer une chambre de la liberté, où tous les différends des gentilshommes seraient réglés sous la présidence du chevalier de Rohan, qu’ils comptaient bien faire investir par le peuple d’une autorité à peu près illimitée. « Quand la noblesse sera à cheval, avait dit La Tréaumont, il faudra venir faire révolter Paris et demander les états-généraux. » Enfin le chevalier de Rohan aurait dit en se frottant les mains : « Je mourrois content, si je pouvois une fois tirer l’épée contre le roi dans une bonne révolte. »

Pressé de tous côtés, espérant fléchir Louis XIV par un aveu, Rohan se décida à parler. Après les plus grandes protestations d’attachement pour le roi, il dit que s’il avait proféré quelques plaintes contre lui, c’était u en quelque sorte par un emportement de tendresse et pour ainsi dire de jalousie, comme un amant en auroit pour sa maîtresse, » qu’il avait eu néanmoins le malheur de lui déplaire, et que, chaque fois qu’il lui avait demandé une grâce, il s’était vu refuser. Désespéré, l’idée lui était venue d’exploiter le mécontentement de la Normandie et d’envoyer van den Enden en Flandre, mais, ajoutait-il, « sans prendre d’engagement, et seulement pour voir ce que les Espagnols diroient. » Ces aveux ne lui ayant, à sa grande surprise, servi de rien, il essaya plus tard d’en atténuer la portée. Vains efforts! la conspiration était flagrante, et sa culpabilité, de même que celle du chevalier de Préaux, de Mme de Villars et de van den Enden, étaient avérées. Le droit de défense eùt-il existé, les avocats les plus habiles ne les auraient pas fait absoudre. La clémence royale pouvait leur faire grâce, la justice devait sévir.

Une lettre de La Reynie à Colbert du 26 novembre 1674 lui apprit qu’ils seraient condamnés, les trois premiers à avoir la tête