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conciliant, mais ferme, il avait sans doute, comme le roi et la plupart de ses contemporains, embrassé avec joie l’idée de voir la France entière professer la même religion. Par malheur, le système adopté n’était pas fait pour amener un tel résultat. Vers 1690, quand la persécution eut aigri, exaspéré les esprits, le gouvernement, alors en guerre avec les puissances protestantes, crut que les protestans de l’intérieur faisaient des vœux pour elles contre lui: ils furent même accusés, car il faut tout dire, de se cotiser pour venir en aide aux ennemis. «On a donné au roi, écrivait Pontchartrain le 31 août 1692, un mémoire touchant les assemblées de nouveaux catholiques qui se font à Paris et les sommes qu’on prétend qu’ils amassent pour les envoyer en Angleterre... » Cinq ans après, l’année même où La Reynie fut remplacé, Pontchartrain écrivait encore à son successeur : « Le roi ayant été informé qu’il se faisoit des collectes d’argent entre les nouveaux catholiques pour les ennemis, sa majesté a envoyé ordre à M. Phélypeaux de faire arrêter Lefranc et le notaire Briet. Le roi veut que vous alliez les interroger pour connoître leur commerce[1]. » L’accusation était-elle fondée? Ce qui est certain, c’est que le soupçon seul d’un acte pareil était fait pour rendre odieux les religionnaires. Quant à La Reynie, s’il remplit souvent à leur égard le rôle de modérateur, on doit convenir qu’il ne leur épargna pas toujours les tracasseries ni les persécutions. Il eût mieux fait à coup sûr, si les passions religieuses lui paraissaient excessives, de se retirer; mais ces passions, il les partageait dans une certaine mesure. Un homme seul, c’était, à vrai dire, le plus généreux de tous, Vauban, conseillait ouvertement à Louvois la tolérance ; mais Louvois, principal auteur des mesures dont il reconnut trop tard le mauvais effet, n’osait pas dire la vérité au roi, et le mal allait sans cesse en s’aggravant.

On pense bien que les conséquences économiques de ces persécutions ne se firent pas attendre. Non-seulement les manufacturiers protestans étaient les plus riches, leurs coreligionnaires étaient aussi les ouvriers les plus industrieux. L’expatriation des uns et des autres priva donc gratuitement le royaume des capitaux et des bras les plus intelligens. Alors, et en pleine paix, commença cette décadence matérielle de la France que les coalitions étrangères et les disettes portèrent vers la fin du siècle à un excès qui fut la grande tristesse de La Bruyère, de Fénelon, de Racine, et qui provoqua les mâles protestations de Vauban et de Boisguilbert. Nous n’avons pas les réflexions sur l’état de la France remises par Racine à Mme de Maintenon et par elle-même au roi, qui les reçut si mal; tous deux s’honorèrent par cette tentative avortée, dont le contre-coup abré-

  1. Arch. de l’empire. Registres des secrétaires d’état. Lettre du 15 septembre 1697.