Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prince qui ne connut d’autres faiblesses que celles de la clémence, auquel on n’a pu reprocher que l’excès de la vertu dont le monde avait alors le plus besoin. Si comme philosophe il ne fut pas toujours exact et conséquent, si sa raison, avide de vérités consolantes, semble quelquefois flotter entre le Dieu du stoïcisme et celui de Platon, c’est qu’elle cherche la lumière à tous les coins du ciel. Son esprit reste enfermé dans la doctrine stoïque, mais son âme s’en échappe et veut aller au-delà. Il n’est pas un philosophe rigoureux, parce qu’il n’a pas d’entêtement doctrinal, et ses hésitations même sont la marque de sa sincérité. Il a pourtant renouvelé la morale antique, non par la force de son génie, mais par la pureté de son âme. Le Portique prêchait déjà le mépris du monde, la fraternité, la Providence, la soumission volontaire aux lois de Dieu. Marc-Aurèle, sans enseigner d’autres vérités, sans enrichir le stoïcisme d’un dogme, lui prêta du moins un accent nouveau, et répandit dans ses préceptes, durs encore, sa tendresse naturelle. Par son exemple souverain aussi bien que par ses paroles, il essaya d’en faire une loi d’amour, d’amour pour les hommes et pour la Divinité; il trouva le langage de la charité et de l’effusion divine. Par lui, la philosophie profane fut conduite jusqu’aux confins du christianisme. Ce qui manquait encore à ces hommes de bonne volonté qui semblaient effleurés par la grâce, c’est un dogme religieux que le panthéisme stoïcien ne donnait pas. Ils avaient des désirs pieux et confus qui ne savaient où se prendre, et qui ne rencontraient devant eux qu’un Dieu obscur et sourd et un avenir sans espérance. À ce mépris du monde il fallait un dédommagement, un objet à tant de vague amour, à cette tristesse un espoir consolateur.


C. MARTHA.