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duire le médecin, et la pauvre demoiselle était seule. — Je l’emmenai alors à quelques pas du lit et la priai de me raconter ce qu’elle savait de Mme Rebens et de sa fille; elle me dit que ces dames habitaient Lyon et n’avaient loué qu’au commencement du mois la chambre où nous étions. Mme Rebens, qui avait été très souffrante tout l’hiver, était venue chercher à la campagne un air plus pur et un peu de soleil. Elle avait d’abord paru se mieux porter, mais depuis la veille sa maladie avait pris un caractère d’intensité effrayant, et elle y avait succombé.

Ce récit était à peine achevé que Laurence vint à nous avec un calme concentré encore plus douloureux que ses larmes. — Maintenant, dit-elle en étendant le bras du côté de sa mère, il faut que je l’ensevelisse. Elle se tourna vers la paysanne et ajouta doucement : — Madame, voulez-vous être assez bonne pour m’aider?

Je me retirai. Comme je franchissais la porte, Laurence me jeta un regard de remercîment et de prière. Je lui fis signe que je la comprenais et que je reviendrais bientôt. Je rentrai en effet lorsque la tâche funèbre fut accomplie. Les deux femmes priaient près du cadavre, qui se dessinait avec rigidité sous les draps.

— Voulez-vous me permettre, dis-je à Laurence, de veiller votre mère avec vous cette nuit?

— Oui, me répondit-elle simplement.

Elle s’assit au chevet de la morte, moi aux pieds, et nous demeurâmes sans prononcer une parole. La vieille paysanne s’était couchée sur un fit de sangle et dormait. Vers minuit, Laurence, brisée d’émotion et de fatigue, s’assoupit. Son visage s’inclinait sur sa poitrine; ses mains croisées reposaient sur ses genoux. Je pus alors me rendre compte des ravages que le chagrin et la misère avaient faits sur cette charmante fille. Les yeux, très enfoncés, étaient cerclés de bleu, le nez mince, les lèvres blanches; son teint jauni avait par places des nuances maladives. Des vêtemens fanés couvraient son corps amaigri; ses mains effilées, sur lesquelles se projetait la lueur de la lampe, semblaient diaphanes. Je la comparai involontairement à ce qu’elle était autrefois, en toilette de bal, souriant sous les fleurs. Le désastre était si grand que ma pensée ne pouvait le mesurer; je croyais faire un rêve. Le lendemain je m’occupai de tous les tristes détails de l’enterrement. Quand Laurence eut à se séparer de sa mère, sa douleur, repliée sur elle-même, ne se répandit ni en gestes, ni en cris. J’aimai cette contrainte qu’elle s’imposait. Il y avait là quelques personnes, le prêtre, les porteurs. En présence de ces hommes, sa pudeur de jeune fille parlait plus haut que son désespoir. J’accompagnai seul Mme Rebens jusqu’au cimetière. La cérémonie achevée, je revins au plus vite auprès de Laurence. Dès