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Le tumulte augmenta encore quand on apprit les dernières nouvelles, et qu’on sut que M. Dupré avait donné l’ordre au consul général de France d’amener son pavillon. Tamatave, d’ordinaire fort calme, prit alors un aspect inaccoutumé. Les Antaïmoures, qui ne demandaient que plaies et bosses, commencèrent par les rues de la ville leurs promenades turbulentes, exécutant leurs danses militaires même la nuit, à la clarté des torches. Des groupes d’habitans plus paisibles se formèrent, on se réunit chez les traitans, et comme les bruits, dans les pays privés de journaux, circulent encore assez vite, on connut bientôt tous les détails de ce qui s’était passé dans la capitale. C’est ainsi qu’on apprit que, dans le dernier kabare qui avait eu lieu à Andohale, le forum de Tananarive, le premier ministre, opposé surtout à l’immixtion des Européens dans la colonisation de Madagascar, avait prononcé contre nous le curieux discours que voici : « Laissez agir les vazas, les blancs de France ; ils feront beaucoup de bruit pour rien. Ils n’ont d’autres navires que ceux que leur prête l’Angleterre, d’autre poudre que celle qu’elle leur vend. Ils veulent venir exploiter notre sol; mais nous n’avons pas besoin d’eux pour cela. Notre sol nous appartient, et nous l’exploitons bien nous-mêmes. On parle de nos mines d’or et d’argent ! Sans doute, et nous les connaissons; mais nos pères ont vécu sans elles, nous pouvons nous en passer aussi. On nous accuse d’avoir tué notre roi! Fort bien, et c’est là une affaire à vider entre Malgaches. En cela du reste nous n’avons fait qu’une révolution, comme l’Europe nous en a tant de fois donné l’exemple : l’Angleterre a tué Charles Ier, la France a guillotiné Louis XVI. »

Ces paroles circulèrent de bouche en bouche à Madagascar, et je n’ai pas besoin de dire quels commentaires elles reçurent dans un pays où le peuple est à chaque instant appelé sur le forum, et où l’éloquence politique, servie par une langue harmonieuse et savamment construite, a été poussée aussi loin que dans les républiques anciennes. Au reste, le parti de la réaction avait fait des objections si habilement reproduites par le premier ministre le fond de ses attaques contre nous. Et ici il faut bien reconnaître que Radama, succédant à un gouvernement ombrageux et cruel, qui avait fini par éloigner les étrangers, s’était peut-être trop pressé d’agir dans un sens opposé dès son avènement au trône, et n’avait pas su assez ménager la transition. On a trop aisément oublié en France combien les mesures libérales de ce jeune roi avaient rencontré d’opposition même dans son conseil, combien les grands, les nobles, redoutaient à Madagascar l’affranchissement instantané des esclaves. Et dans quel pays la même crainte d’une réforme lésant tant d’intérêts, mettant peut-être tant de vies enjeu, n’aurait-elle pas existé? Ouvrir subitement toute l’île aux étrangers par une charte aussi étendue