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gustenbourg, L’Angleterre, d’accord avec les puissances neutres, France, Russie et Suède, a proposé, comme moyen de pacification, le partage du Slesvig. La moralité du système de partage du Slesvig adopté par les puissances neutres consiste en ceci : ce plan s’efforce de concilier trois sortes d’intérêt, un intérêt de nationalité, un intérêt stratégique et un intérêt d’équilibre. On respecte l’intérêt de nationalité en séparant du Danemark la portion du Slesvig incontestablement occupée par une population de race allemande ; on pourvoit à l’intérêt stratégique en demandant pour le Danemark une frontière qui se rapproche de l’ancienne ligne de défense du Dannewirke ; on veut sauvegarder un intérêt d’équilibre en stipulant que l’Allemagne s’interdirait de créer des forteresses militaires ou maritimes dans les provinces détachées du Danemark. Au nom de l’intérêt stratégique, on écorne bien un peu le principe de nationalité ; on laisse un certain nombre d’Allemands enclavés ou disséminés dans la portion du Slesvig que l’on entend conserver aux Danois ; mais, quand on trace une frontière entre un faible et un fort, c’est évidemment à protéger le faible qu’on doit songer avant tout, et c’est au fort qu’il faut demander une garantie, dût cette garantie lui coûter un léger sacrifice. Enfin, dans un intérêt d’équilibre, on frappe d’une servitude les nouvelles acquisitions de l’Allemagne : on ne veut pas que le port de Kiel puisse devenir un arsenal de guerre. Là-dessus quelques-uns se récrient : Quoi ! on veut entraver le développement d’un peuple aussi grand que le peuple allemand ! Ceux-là parlent déjà comme si l’Allemagne était légitime et ancienne propriétaire des conquêtes qu’elle vient de faire ; ils oublient que nous sommes précisément au moment où il s’agit de donner une sanction à cet agrandissement et où tous ceux qui ont qualité pour accorder cette sanction ont aussi le droit d’y joindre les réserves et les restrictions indiquées par l’intérêt général. Si Kiel ou un autre port enlevé au Danemark est transformé en forteresse maritime allemande, que deviennent devant un tel voisinage l’indépendance et la sécurité du Danemark du côté de la mer ? Le Danemark ainsi diminué et affaibli, que devient l’équilibre du Nord ? Il y a de vieux mots que l’on a longtemps marmotés et dont une monotone routine semble avoir effacé le sens ; sous l’influence de certaines circonstances, ces mots semblent éclairés par une illumination soudaine et reprennent une signification saisissante. C’est ce qui arrive aujourd’hui pour cette locution rouillée : l’équilibre du Nord. Cet équilibre, c’était autrefois l’indépendance des états Scandinaves et l’autonomie de la Pologne. Les états faibles s’affaissent de plus en plus de nos jours sous la pression des masses puissantes, et nous craignons bien que l’équilibre du Nord, qui, appuyé lui-même simultanément ou tour à tour par la France et l’Angleterre, était une barrière élevée pour protéger les faibles, ne soit plus qu’un édifice lézardé, une ruine, dont un large pan va s’écrouler sous nos yeux imprévoyans. Quand nous pensons à l’antique sollicitude que la France a portée à cette grande combinaison politique, quand