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sang-froid de son dossier de vieux parchemins qu’il compte donner à ronger à la diète germanique. Si le traité de 1852 est abandonné, la Russie met en avant les droits de sa maison impériale, de la maison de Holstein-Gottorp, droits qui, suivant elle, priment ceux du prince d’Augustenbourg et qu’elle transfère à un autre prince allemand, chef de la branche cadette de Holstein-Gottorp, le grand-duc d’Oldenbourg. Au milieu de ce brouhaha, la France apparaît comme une personne ; pudique, rêveuse, étonnée. Elle a une placidité et des naïvetés charmantes. Elle ne comprend peut-être pas grand’chose aux solutions proposées devant elle ; mais quand c’est son tour de parler, elle exprime tranquillement le vœu ingénu que, quelle que soit la solution adoptée, les populations dont on aura disposé soient consultées loyalement sur le choix de leur gouvernement. Nous avons ainsi remplacé le principe de l’équilibre du Nord par l’apostolat platonique du suffrage universel.

Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés au nœud le plus périlleux et le plus compliqué de la négociation. À notre point de vue, la complication qui s’est révélée dans les intérêts est la meilleure chance que nous ayons de voir le péril détourné. Il faut une solution prompte, car si l’accord entre les belligérans n’a pas été établi avant le 26 juin, tout annonce qu’à cette époque les hostilités seront reprises. Or les Allemands, avec la diversité des intérêts et des mobiles qui se font jour parmi eux, ont-ils quelque chose à gagner à perpétuer les chicanes et à faire la guerre pour la guerre sans poursuivre en commun le même objet positif ? Le voyage du prince d’Augustenbourg à Berlin semble avoir mis la Prusse contre lui. M. de Bismark voulait que les duchés placés sous l’autorité du prince d’Augustenbourg ne fussent en réalité que des avant-postes prussiens, de véritables marches organisées dans le système des institutions militaires et maritimes de la Prusse. Le prince d’Augustenbourg semble avoir refusé d’entrer dans ces vues. Il est et veut rester l’homme de la confédération germanique ; il ne consent point à devenir un vassal de la Prusse. L’attitude du prince d’Augustenbourg a causé à Berlin un profond mécontentement. Aussi, quand ont paru les prétentions de la Russie et la candidature du grand-duc d’Oldenbourg, on a cru voir dans cette combinaison le jeu et la main de M. de Bismark. Certes, dans l’état présent des choses, il ne peut être indifférent pour l’Autriche, pour la Prusse et pour la confédération avant la reprise des hostilités de savoir pour qui et pour quel système on se battra. Veut-on donner les duchés à la branche cadette de la maison impériale de Russie ? Veut-on accroître la puissance militaire de la Prusse en lui livrant en réalité les positions stratégiques du Slesvig-Holstein ? Veut-on fortifier au sein de la confédération le groupe des états moyens en assurant au contraire aux duchés les garanties d’une véritable indépendance ? Et là ne s’arrête point la confusion où les incertitudes de la situation actuelle plongent l’Allemagne et l’Europe. D’étranges idées jaillissent au sein du Danemark ; par une réaction désespérée, quelques Danois, plutôt que de voir leur monarchie démem-