de France serait ainsi inférieure à celle du plus modeste officier universitaire de nos lycées. Il suffit de signaler ces contradictions pour montrer la gravité du précédent créé par la révocation de M. Renan.
Quoique les motifs de cette révocation n’aient point été officiellement avoués, pouvait-on se méprendre sur la cause de ce coup d’autorité administrative ? Le professeur d’hébreu n’est-il pas l’auteur de la Vie de Jésus ? Vue ainsi, la question prend des proportions plus vastes, et le principe de la liberté de penser est en jeu. L’organisation de la liberté fait si malheureusement défaut en France, que, nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, des incidens comme celui-ci produisent toujours chez nous une irritation envenimée, et font tourner cette irritation bien moins encore contre la main qui a frappé que contre la cause en faveur de laquelle le coup a paru être porté. Il y a là une situation fausse qui remplit d’embarras et d’angoisse les esprits vraiment libéraux. D’un côté, l’état sent que sa responsabilité est accrue de tout ce qui manque à la liberté de chacun, et plus il se sent responsable, plus il est tenté d’exercer arbitrairement le pouvoir. D’un autre côté, les partis qui se partagent le champ des croyances, ne possédant point par eux-mêmes des libertés suffisantes, font alternativement la cour au pouvoir, et toutes les fois qu’un acte arbitraire est accompli, il se trouve toujours, ici ou là, des mains vulgaires pour applaudir. Les partis philosophiques et religieux, ne se sentant point établis sur des droits, se contentent de solliciter des faveurs pour eux et des disgrâces pour leurs adversaires. Dans cette confusion intéressée et passionnée, la notion et le goût de la liberté vont s’altérant de plus en plus. Nous avons vu un parti catholique aveugle et brutal se réjouir de ce que la France avait perdu en 1852 la liberté de la presse ; nous avons vu aussi une démocratie imprévoyante se réjouir lorsque M. le duc de Persigny a jugé à propos de réglementer la société de Saint-Vincent-de-Paul. Les catholiques en question ont eu la suppression de l’Univers ; les libres penseurs dont nous parlons se réveillent aujourd’hui avec la destitution de M. Renan. Quand le pouvoir, les croyans et les libres penseurs auront-ils appris enfin qu’il n’y a de sécurité, d’indépendance et de dignité pour eux que dans l’état libre ? Certes ce n’étaient point les auteurs du concordat, ce n’était ni Napoléon ni le cardinal Consalvi qui comprenaient cet idéal libéral des sociétés modernes. Un partisan violent des vieilles idées et des vieilles choses, un type français de codino furibond qui nous paraît être plus en faveur auprès de la cour de Rome que les illustres catholiques libéraux de Paris, M. Crétineau-Joly, vient de traduire et de publier les mémoires inédits du cardinal Consalvi qui, grâce à Léon XII, ont échappé aux limbes des archives secrètes du Vatican. Ce livre, malgré l’archaïsme de ses idées, est une publication intéressante et opportune. Le cardinal Consalvi est peut être la dernière expression élégante et digne de cette race de politiques qu’a produits la prélature romaine. Ce n’est point là un cardinal dévot ; c’est un esprit appliqué aux affaires, une volonté imployable sous une enveloppe douce,