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qui précèdent Dioclétien, même les Valérien et les Galien, si souvent humiliés par les Germains et les Perses, n’y sont pas moins appelés victores ou invicti. Arcadius et Honorius, sous lesquels l’empire achève de se dissoudre, reçoivent le nom d’invicissimi. Quatre ans avant la prise de Rome par Alaric, on y voit gravement annoncé que la nation des Goths est détruite pour toujours, ce qui n’empêche pas le Goth Théodoric, lorsqu’il est maître de Rome, d’être appelé, comme les autres, victorieux et toujours auguste, et même, ce qui est plus surprenant, défenseur de la liberté. Il est vrai que Narsès, le lendemain du jour où il a chassé le roi des Goths, devient à son tour le sauveur de la liberté de Rome et de l’Italie. Il ne faut donc pas aller chercher dans les inscriptions la vérité exacte et complète sur les hommes et les faits. Les brusques reviremens que je viens de faire voir nous montrent qu’on ne l’y trouverait pas plus que dans ces journaux officiels qui, dans tous les pays, sont invariablement l’organe du parti qui triomphe, et qu’une révolution fait passer sans transition d’un gouvernement à l’autre. On peut dire même, à ce point de vue, que les inscriptions sont une sorte de Moniteur de l’empire romain. Puisque nous avons perdu les Acta diurna, qui étaient le véritable journal de Rome, sachons au moins profiter de ce journal de pierre et de marbre que nous possédons encore; demandons-lui ce qu’il est naturel qu’il contienne, non pas une appréciation fidèle des événemens, mais le tableau de l’organisation d’une société, la vie officielle d’un peuple, qui valent bien aussi la peine d’être étudiés. Voilà ce que nous apprennent surtout les inscriptions et ce qu’elles peuvent seules nous apprendre. C’est seulement par elles que nous pouvons refaire la série complète des magistrats romains depuis les consuls et les préteurs jusqu’à ces humbles magistri vicorum, dont l’autorité ne s’étendait que sur quelques rues. C’est par elles que nous connaissons tout ce petit monde d’employés par lesquels l’administration centrale pénétrait des hauteurs du Palatin jusqu’aux dernières échoppes de Suburra : les historiens sont trop grands seigneurs pour descendre si bas; au-delà de l’édile et du questeur, ils ne connaissent presque plus personne. Si l’on souhaite en savoir davantage, si l’on veut connaître à fond le gouvernement de Rome et celui des provinces, refaire le tableau exact d’une légion ou d’un municipe, se rendre compte de cette immense machine, une des plus parfaites après tout qui aient jamais été construites, et qui comprenait tout l’univers dans ses rouages, il faut bien avoir recours aux inscriptions. C’est seulement avec leur aide qu’on peut prendre quelque idée de cette grande administration romaine qui a gouverné les nations antiques, et dans le moule de laquelle les nations modernes ont été jetées. Voilà le