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circuler sur des bâtimens, quels qu’ils soient, dans le grand fleuve du Cambodge et dans tous les bras de ce fleuve; il en sera de même pour les bâtimens de guerre français envoyés en surveillance dans ce même fleuve ou dans ses affluens.

« Les sujets de l’empire de France et du royaume d’Espagne pourront librement commercer dans les trois ports de Tourane, de Balat et de Quang-an.

« La paix étant faite, s’il y a quelques affaires importantes à traiter, les trois souverains pourront envoyer des représentans pour traiter ces affaires dans une des trois capitales[1]. »


Cet acte diplomatique nous créait un nouveau rôle en Cochinchine et nous imposait des obligations. Par notre souveraineté substituée à celle du roi d’Annam sur un territoire étendu, nous prenions envers nous-mêmes et nos nouveaux sujets l’engagement de les faire jouir des bienfaits d’une civilisation supérieure à celle qu’ils connaissaient, de développer leur bien-être, de garantir leur sécurité. Notre premier soin devait être d’inspirer aux Annamites une confiance absolue dans notre résolution de conserver à tout jamais à la couronne de France le territoire que nous avions conquis. Notre évacuation de Tourane les disposait à nous considérer comme installés passagèrement dans leur pays et prêts à l’abandonner au moindre revers ou embarras. Ils n’ignoraient pas que la cour de Hué, en signant le traité, avait cédé à nos menaces et qu’elle nourrissait l’arrière-pensée de saisir la première occasion qui se présenterait de reprendre le territoire dont elle nous avait fait la cession. Tant que cette éventualité s’offrirait à leur imagination, nous ne pouvions compter sur leur fidélité. Malgré la paix, les chrétiens, soupçonnés de nous avoir appelés en Cochinchine, étaient à leurs yeux coupables de rébellion envers leur souverain, et méritaient pour ce crime, le plus grand de tous, les châtimens les plus terribles. Les Annamites, qui avaient vu périr sur les bûchers des centaines de ces malheureux accuses de trahison, conservaient de ce spectacle une profonde impression de terreur, et ne voulaient point s’exposer à la vengeance de Tu-duc, qui leur apparaissait menaçante dans un avenir prochain. Cette situation présentait donc de grandes difficultés, les unes morales, les autres matérielles ; mais, avant d’examiner ce qu’on a fait pour les résoudre, il importe de connaître le théâtre où la France avait à déployer son habileté et sa puissance.

  1. Dans les négociations qui amenèrent la signature de ce traité, les ministres de Tu-duc, en examinant les pleins pouvoirs de l’amiral Bonard, ne manquèrent pas de faire observer qu’il était au moins étrange qu’il exigeât une cession de territoire quand les instructions qui y étaient jointes ne demandaient que le redressement de nos griefs et la protection des missionnaires.