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Telles sont les objections que soulève la politique nouvelle que l’on serait au moment d’adopter, et des correspondances venues de Saigon même, ainsi qu’on l’a vu plus haut, les signalent avec une chaleureuse conviction. Pour nous, elles ne font que fortifier notre opinion sur les entreprises lointaines, puisque celle même qui nous occupe, malgré tous les avantages matériels et moraux qu’elle promettait à la France, semble trop lourde pour être poursuivie jusqu’à son entier achèvement. Après cinq années de patiens et pénibles efforts, nous en sommes arrivés à ce point que de bons esprits se demandent s’il ne vaut pas mieux renoncer aux vastes projets que nous avions conçus que de nous attacher obstinément à les réaliser en continuant les sacrifices qu’ils nous ont déjà coûtés.

Les phases par lesquelles a passé depuis six ans notre expédition de Cochinchine peuvent se résumer en peu de mots. C’est en 1858 qu’elle commençait par une démonstration contre le royaume d’Annam, où nos missionnaires n’étaient plus suffisamment protégés. Presque aussitôt cette expédition s’est transformée en une suite d’opérations militaires dans l’intérieur du pays, puis en une guerre de conquête qui nous a donné un vaste territoire et d’une fertilité admirable, des ports sûrs et des rades propres à recueillir les flottes les plus nombreuses, avec une position exceptionnellement favorable pour concentrer le commerce de l’extrême Orient. Le spectacle merveilleux d’une possession qui recèle tant d’élémens de grandeur et de richesse fait entrevoir pour elle les plus brillantes destinées; mais cet enivrement ne dure qu’un jour. On se met le lendemain à supputer ce que coûtera d’efforts et de soins, de patience et d’argent, la réalisation de cet avenir; on compte avec tristesse les millions déjà dépensés, les troupes et les bâtimens de guerre que cette entreprise tient éloignés de la mère-patrie dans un moment où des intérêts plus considérables et les nécessités de la politique générale exigent la libre disposition de toutes les forces du pays. Ces calculs tardifs nous refroidissent; craignant d’avoir trop cédé aux mirages de l’imagination, nous voulons revenir à une conduite plus prudente et plus positive, et, pressés de nous retirer d’une voie qui nous paraît dangereuse, nous opérons un mouvement de retraite, sans nous douter que nous abandonnons tout le terrain que nous avions conquis. Dans ces périodes diverses qu’a traversées notre expédition en Cochinchine, n’y a-t-il pas un utile enseignement?


HENRI GALOS.