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cette assemblée de 1848 que pour rentrer aussitôt dans l’obscurité de la vie religieuse. Et si vous voulez achever cette histoire, ne vous souvenez-vous pas enfin de ce jour où pour la première fois une robe de moine fait son entrée à l’Académie française, comme pour attester le chemin parcouru en trente années et la puissance du talent? C’est lui, c’est toujours le même homme mêlé à tout en paraissant se retirer de tout, vivant à la fois de la vie du religieux et de la vie du siècle, occupé de prédication ou d’enseignement, cénobite et académicien, polémiste et maître d’école, comme il s’était appelé un jour; c’est l’abbé, le père Henri Lacordaire, un type de la vie religieuse et morale contemporaine, le prédicateur aimé de la jeunesse, le réorganisateur de l’ordre de saint Dominique dans un pays et à une époque sceptiques pour ces résurrections, — le prêtre le mieux fait en un mot pour rapprocher, dans un esprit sincère, indépendant et hardi, la religion et les libérales aspirations des sociétés nouvelles.

Une partie de la vie et du caractère du prêtre est en pleine lumière; c’est ce côté extérieur, cette action sensible et palpable de l’orateur de Notre-Dame, de l’homme qui un jour dans ses méditations ardentes cherche un moyen de saisir plus directement son siècle par une image visible, qui mêle à sa propagande de prédicateur et de moine des apparitions à l’assemblée constituante ou à l’Académie pour finir par se réfugier dans une école du midi, en face de la Montagne-Noire, au milieu d’une jeunesse attirée par son nom. Une autre partie de la vie et du caractère de Lacordaire est restée plongée dans l’ombre, et c’est justement ce côté plus intime que dévoilent ses lettres, celles que publiait il y a peu de temps M. l’abbé Perreyve, son disciple de prédilection, et celles que publie aujourd’hui M. de Falloux, qui est encore plus, si je ne me trompe, l’exécuteur testamentaire de Mme Swetchine que de Lacordaire. Ces lettres comblent les intervalles d’une carrière un peu abrupte et quelquefois violemment entrecoupée en apparence ; elles font pénétrer dans une âme qui a vécu par la prière, par la lutte et par la parole, qui a connu évidemment les anxiétés du combat intérieur, et qui commençait, il y a trente-trois ans, après la campagne de l’Avenir, par la première, la plus douloureuse des épreuves, la rupture avec un ami, un maître qui était un homme de génie, et la soumission à la parole de Rome. Tout cela est le passé aujourd’hui; la mort est venue, et les souvenirs s’échappent de tous côtés. Je ne sais, à vrai dire, si tout est bien profit pour Lacordaire dans quelques- unes de ces divulgations, et si on ne le fait pas disparaître un peu notamment dans l’ombre grise de Mme Swetchine. Une fortune singulière et capricieuse avait rapproché ces deux âmes au lendemain